Rando dans les Pyrénées en toute simplicité

Rando dans les Pyrénées en toute simplicité

Pic du Madres par le couloir du Clos Tort (PD+)

20/03/2015 : Col de Jau (1506m) – refuge de Callau – vallée de la Castellane – abri de la Balmette – couloir du Clos Tort – Pic du Madres (2469m) – Serrat des Clotes – col de la Marrane – Refuge Pastoral de Madres – torrent de l’Aiguette – La Glébe – Col de Jau

 

Sommet tabulaire ouvert à tous les vents, le Madrès n’est pas un pic à proprement parlé, mais une longue crête dont le point culminant s’élève à 2469 mètres. Si, au Sud, la pente se relève suffisamment par endroits pour donner un rebord engendrant un abrupt ressaut, au Nord, le Madrès n’est en définitive qu’un plan incliné de pâturage prolongeant l’épaisse couverture forestière du versant du col de Jau. C’est par celui-ci que je vais rendre visite au plus haut sommet Audois. Et en ce jour particulier d’équinoxe de printemps où le jour et la nuit durent chacun 12 heures, le soleil va être éclipsé partiellement par une lune décroissante.

Je quitte le col de Jau à 7h15 alors que la température n’est que de 3°C, mais sans vent. La neige est présente immédiatement sur la piste forestière et sa présence va croitre au fur et à mesure que je m’enfonce dans la forêt. Sans difficulté le refuge de Callau est atteint à 7h45.

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Je chausse les raquettes et je poursuis mon itinéraire sur la piste entièrement sous la neige. Il faut suivre la piste encore pendant 30 minutes jusqu’à trouver, sur la droite, le sentier qui monte en forêt vers le Nord/Ouest. Il est 8h20. Hormis les nombreuses traces d’ongulés, il n’y a aucune autre marque qui indique l’itinéraire à suivre. De temps à autre, quelques balises jaunes se trouvent peintes sur les arbres. Pourtant je n’éprouve aucune difficulté à trouver mon chemin dans cette forêt qui semble dormir en attendant le réveil du printemps.

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Le sentier évite le torrent de la Castellane qui se trouve partiellement sous la neige. En quittant la forêt, la vue s’ouvre enfin sur l’objectif du jour, le plateau du Madres. Il faut franchir le ressaut de l’abri de la Balmette, une belle pente en neige dure pour prendre pied au cœur du cirque de la Castellane. C’est chose faite à 9h32, après 2h28 de marche. Pour le moment, tout va bien, le ciel est presque bleu et le vent pratiquement nul.

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Cette micro vallée suspendue est une petite merveille. C’est une grande étendue blanche entourée d’escarpement rocheux et de quelques couloirs du plus bel effet. L’aiguille granitique du Salt del Burrò donne encore un peu plus d’élégance à cet environnement. Je me dirige au fond du cirque en visant un couloir à gauche du Salt del Burrò. Ces escarpements se nomment le Clos Tort.

 

Le couloir est au fond en forme de virgule à l'envers

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Le couloir est légèrement à gauche

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Au pied du couloir, je troque les bâtons pour les piolets, et les raquettes pour les crampons. Je prends quelques forces avant de m’élancer, je vais en avoir besoin.

 

En avant, c'est tout droit

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L’éclipse solaire est déjà bien commencée quand je m’engage dans le large cône de déjection, pourtant la luminosité n’a pas faiblie. La neige porte très mal, car le couloir est orienté Nord/Est, et donc, a déjà reçu les rayons du soleil depuis un moment. Je m’enfonce à chaque pas, et les piolets disparaissent totalement à chaque ancrage. La pente n’étant pas trop prononcée, cela ne pose pas de difficulté, hormis l’effort d’extraire les pas de plus de 20cm de neige molle. Puis, la pente se redresse de plus en plus, jusqu’à la partie terminale qui avoisine les 70°. C’est vertical, vraiment vertical. Cette fois, la neige est enfin dure et les piolets mordent parfaitement. Mais que c’est dur ! Le haut du plateau paraît tout proche mais il me semble que je ne pourrais l’atteindre tant c’est vertical. Vingt mètres, peut-être moins, mais que c’est dur !

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Dans mon dos, la haute vallée de la Castellane

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Ce grand couloir débouche sur le plateau sommital, sur une antécime plus précisément. J’en viens à bout à 11h17, après 3h29 d’effort. Je suis accueilli par le maitre des lieux, le Carcanet. C’est un vent glacial venant du Nord/Ouest qui transforme ce plateau du Madres en une sorte de banquise polaire ; le surnom de troisième pôle n’est pas usurpé. Je suis épuisé par l’ascension en solo, je n’ai plus de force. De plus je me fais secouer par le Carcanet, mais le sommet est tout proche, il ne peut m’échapper. Je suis au point culminant du plateau à 11h32. Cela m’aura demandé 3h43 de marche effective, un peu plus qu’en condition estivale. Enfin, ça c’est fait ! 2469 mètres, on ne peut aller plus haut. La récompense est là, une vue extraordinaire sur 360 °. Au Sud, du pic du Canigou au Puigmal, toute la cordillère frontalière s’étire avec tous les plus hauts sommets du département. A l’Ouest c’est le Capcir qui propose ses sommets avec le Carlit comme point culminant. Du côté du Donezan, le Roc Blanc offre une étonnante silhouette austère. Je reconnais les pics jumeaux de Bentaillole et Ourtiset dans l’Aude, que j’ai gravi il y a un mois. La neige a bien fondu sur leurs versants. Durant toute cette matinée, je n’ai pas trouvé la moindre trace de bipède à station verticale. Je suis le seul représentant des homos sapiens dans cette immensité blanche.

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Je suis toujours épuisé, et le vent ne me permet aucun répit ; je dois quitter rapidement le sommet car la météo n’annonce rien de bon. Il ne me reste plus que de la descente en théorie, alors je ne suis pas plus inquiet que ça sur mon état de fatigue.

 

Le Cambre d'Aze

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Afin d’effectuer une boucle, je choisis de partir d’abord au Nord en suivant les piquets du tour du Capcir. Cette partie est battue par le vent et la pauvre végétation qui dépasse de la pellicule de glace qui l’entoure, porte les stigmates de ce vent violent. Je dois même quitter les crampons qui me pénalisent tant je m’enfonce, pour chausser à nouveau les raquettes.

 

Dans mon dos le pic du Bernard Sauvage à gauche et le pic de Madres à droite

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Je vais trouver un abri sur des rochers, le long de la croupe du Serrat des Clotes, afin de prendre le repas. 12h23, il est grand temps que je me restaure. C’est face à la haute vallée de l’Aiguette, que je savoure ce moment de répit. Cela me permet d’observer le relief que je vais parcourir pour mon retour. A 12h44, je me remets en marche. Le sentier évite par l’Ouest une éminence rocheuse sans nom. Cela permet de contourner ce mamelon sans prendre de dénivelé inutilement. Puis l’on débouche sur une immense étendue blanche du plus bel effet ; ceux sont les pâturages de Madres.

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Je mets le cap sur le refuge pastoral de Madres que je rejoins à 13h35. Cela fait 5h19 que je brasse de la neige, mais je suis persuadé à cet instant que le plus dur est derrière moi, et que dans moins de deux heures, je serai à la voiture. Le refuge pastoral ressemble plus à une maison secondaire qu’à une cabane de berger. Il semble y avoir tout le confort pour y vivre plusieurs semaines, mais c’est fermé à clef.

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Pic du Bernard Sauvage et le Serrat des Clotes

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Sans attendre, je m’engage sur la partie finale qui est totalement hors sentier. Je descends au bord du torrent de l’Aiguette et là, les choses se compliquent. Je franchis d’un bond le torrent, pour cheminer rive droite. Je ne peux plus faire demi-tour. L’accumulation de neige proche de l’eau est trop importante pour marcher au bord. Tout le versant est en dévers. Je dois m’éloigner de la berge sur une pente bien inclinée. Un nouveau cours d’eau est franchi, lorsque j’arrive sur une pente inclinée de façon extrême. Je me risque à une traversée en raquettes sur une neige mouillée par la fonte. J’ai 6 pas à faire pour passer, je n’en ferai que 4, quand la neige se dérobe m’entrainant vers le torrent. Les bâtons ne me sont d’aucun secours, je griffe la neige, rien n’y fait, je glisse inexorablement vers le torrent. Afin de négocier au mieux ma chute dans l’eau glaciale, je me place face à la pente pour tomber, quand un miracle se produit : la raquette droite vient de s’immobiliser, arrêtant à 40 centimètres de l’eau, ma chute. Il s’agit de s’extraire de là à présent. C’est au prix d’un effort violent que je reprends quelques mètres en amont du cours d’eau. Cet effort m’a littéralement vidé de toute force. Cette déconvenue m’oblige à aller vers la pente et loin de mon itinéraire théorique. J’avance quelques minutes en écharpe, tout en prenant du dénivelé, dans cette forêt sans sentier, lorsque je tombe sur une impasse : un affluent de l’Aiguette a creusé une gorge profonde. Je dois prendre du dénivelé dans une pente extrêmement raide, démesurément raide. La neige ne porte pas, les raquettes ne m’aident plus, je m’épuise et je n’avance pas. Tous les 3 pas, je dois m’arrêter car je suis asphyxié. Je me rends compte que je ne pourrai pas rentrer par là où j'espérais. A 14h45, je suis échoué sur une souche d’arbre, sous de gros blocs de roche que je ne peux escalader. Je suis épuisé, à bout de force ! Je sens la panique me gagner, sans force je ne peux avancer. Je fais un point sur la carte et je ne comprends pas où je me trouve réellement. Où si, mais la carte ne reflète pas avec précision le relief. La pente est extrême alors que les courbes de niveau ne semblent pas si rapprochées que cela sur la carte. Pas de présence de gorge non plus ! Je suis à 1815 mètres d'altitude. Il me faut de l’aide. Je décide d’appeler le 112, non pas pour que l’on vienne me chercher, car c’est totalement impossible, mais pour avoir un conseil. Hélas, il n’y a pas de réseau téléphonique ! Cela m'isole encore plus, mais cela me rassure également qu'il y ait des lieux encore vierges de toute pollution hertzienne.

 

Voilà le constat : il est impossible de faire demi tour vers le bas, trop dangereux, et je ne peux pratiquement plus monter tant c’est raide et épuisant ; de plus, personne ne sait où je suis. Je pense déjà à passer la nuit dehors pour attendre de retrouver de l’énergie, mais je sais aussi qu’une tempête est attendue pour la nuit. Qui sait si le soleil brillera pour moi demain ? Il ne me reste qu’une solution : monter, toujours et toujours. Je n’ai pas d’autre choix que réussir seul. Je suis contraint à avancer sur ce versant Nord.

Je me remobilise et je vais fonctionner au moral. Mon corps refuse, mon cerveau prend les commandes. Il reste encore 4 heures de jour alors je vais aller jusqu’où mes jambes me porteront. Je chausse à nouveau les crampons, je prends un piolet à la main et je reprends la montée. Un nouveau miracle survient, car je trouve d’improbables traces de isards dans cet endroit inhospitalier. Je décide de les suivre et elles me conduisent rapidement sur un versant Ouest bien moins raide. Un torrent coule quelques mètres plus bas. Je vais le rejoindre pour faire le plein d’eau en cas de nuit tombante, et je mets le cap plein Sud. Ce passage moins raide était inespéré. La pente, bien que prononcée, est moins extrême que précédemment. Mon salut passera par la crête qui sépare la vallée de la Castellane à celle de l’Aiguette. Je me motive pour prendre encore 100 mètres de dénivelé, mais cela n’est pas suffisant. Encore 100 mètres, et encore 100 mètres de plus ! Malgré ma fatigue, j’arrive à gagner le dénivelé nécessaire pour sortir de ce piège, car je sais que cette fois je suis sorti d’affaire. Ce n’est plus qu’une question de volonté et de patience. Je suis en mode survie, pas une photo, pas le temps de regarder autour de moi ; marcher, marcher encore et encore, marcher, toujours. Lorsque j’arrive au sommet de la crête, je tombe sur la première présence humaine de la journée, des traces fraiches de raquettes. EN-FIN ! Je n’ai plus qu’à suivre ces traces qui doivent aller obligatoirement au col de Jau. Il est un peu plus de 16 heures lorsque je chemine vers l’Est cette fois. J’ai encore 700 mètres de dénivelé à perdre mais cela ne m’impressionne plus. Je reviens de si loin que plus rien ne peut m’arrêter à présent. Le brouillard montant de toute part, fini par m’envelopper mais ne gêne en rien mon retour vers mon point de départ. Tel un fil d’Ariane, je ne quitte pas les traces qui me conduisent sans réfléchir dans cette forêt de plus en plus épaisse. Les traces quittent la crête pour suivre un large sentier qui tombe pratiquement au refuge de Callau. Je suis la piste emprunté de bon matin et à 18h45 me voilà rendu à mon point de départ. Je termine cette journée en 9h15 d’effort.

Qui ne respecte pas les sentiers du Madres peut le payer le prix fort, la punition a été sévère. Je m'en tire avec une ampoule infectée au talon gauche, de grosses crampes aux deux mollets et un lumbago foudroyant. Qu’il ne fait pas bon de vieillir !

 

Tracé du jour sur carte IGN 1/25000ième

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La journée en chiffres :

Dénivelé positif total : 1528 m – Autant en négatif

Temps de marche 9h15 pour 26 km à 3,4 km/h

Point culminant 2469m

 

Autre couloir au Madres : Pic du Madres par le couloir nord de la Balmette PD



23/03/2015
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