Etape 10 : Refuge de Baborte – Soulcem
Mardi 16 juillet 2019
Etape 10 : refuge de Baborte – col de Baborte (2597m) – Pic du Port de Sulló (3072m) – Port de Sulló (2884m) – Pic Verdaguer (3131m) – Pique d’Estats (3143m) – Punta Gabarró (3115m) – Rodó de Canalbonne (3004m) – Col de Canalbonne (2923m) – Etang de Canalbonne – Etang de Riufret – Soulcem
Nous y voilà ! C'est l'étape reine par excellence. Cette ultime journée doit nous hisser sur le toit des Pyrénées Catalanes, avec pas moins de 5 sommets majeurs à gravir. C’est le point d’orgue de 10 jours d’itinérance. Lever à 5h45, le petit refuge se réveille aux premières lueurs du jour, le vent fou de la veille est enfin tombé. Notre souhait a été exaucé. Toutes les conditions sont à présent réunies pour réussir la journée. Nous souhaitons le meilleur à nos compagnons de refuge, et chacun prend une direction différente à 6h55. Pour nous, cap au Nord sur la frontière et les 3000 !
Etang de Baborte
Nous remontons jusqu’au col de Baborte en 38 minutes, et même si nous sommes encore à l’ombre, nous en profitons pour nous protéger du soleil en prévention. Il faut dire que la suite du parcours ne nous laissera que peu de possibilité de se tartiner la peau. Depuis ce col encadré gracieusement par le pic de Baborte et le pic de Pedres Blanques, on bascule dans un nouveau cirque suspendu, qui abrite comme le précédent, de nombreux étangs. Nous devons nous rendre à vue, au pied du versant Sud du pic de Sulló afin d’aller chercher un sympathique couloir. Dans cette marche hors sentier où finalement ça passe partout, nous n’avons pas parfois choisi la facilité. Où que l’on passe, cela se termine invariablement sur un dernier étang, où nous allons faire le plein d’eau potable. Cette eau si cristalline incite même à la baignade, mais avec ce qui nous attend, ce n’est certainement pas le moment. Ce point d’eau miraculeux est l’occasion de philosopher un peu sur cette précieuse ressource gratuite qu’est H2O, mais ici plus qu’ailleurs c’est bien plus que deux molécules d’hydrogène pour une d’oxygène, c’est tout simplement la Vie avec un grand V. Sans cela, point de randonnée, point de verdure, point de faune. Alors respectons ce trésor inestimable et poursuivons.
Col de Sellente et cime des Tres Pics
Pic de Sotllo vu depuis le col de Baborte
Pic de Baborte
Nous devons à présent grimper un bon couloir, repéré la veille depuis la cime du Baborte. S’il paraissait si évident vu de haut, il l’est moins dans ce chaos rougeâtre. Nous le trouvons finalement et engageons l’ascension dans une sorte de pierrier, une « tartera » comme on dit localement. Fort heureusement, le sol est gelé et le terrain de croule pas. « Merci au permafrost », comme le dit Yannick. La prise de dénivelé s’en trouve facilitée, et peu à peu, un sentier se dessine au sol. C’est ainsi qu’à 9h10, en 1h54, nous parvenons à un col sans nom, qui matérialise la sortie du couloir et le début de la crête Sud/Ouest. Il doit s’agir d’une voie fréquentée, car de nombreux cairns balisent cette crête docile. 300 mètres de dénivelé nous séparent du sommet, mais ce sera une formalité. La crête débouche d’abord sur une antécime Ouest, avant de rejoindre sans pratiquement prendre de dénivelé, la cime principale. Nous voilà à 10h16 sur les 3072 mètres du pic du port de Sotlló, le tout en 2h47. Ce sommet a plusieurs orthographes, selon le pays qui le nomme : Sulló, Sotlló. Premier sommet du jour, nous pouvons observer la suite du menu qui nous est proposé, notamment la crête allant du port de Sulló directement au pic Verdaguer. Si nous osons l’affronter, ce sera une première pour Yannick et moi.
La face Sud tourmentée du pic des Estanys
Pic de Baborte et col de Canedo
Vue depuis l'antécime du Sotlló
La coma de Sotlló d'où nous venons, vue du haut du Sotlló (cliquer sur l'image pour agrandir)
Une longue pause nous permet d’immortaliser ces instants où l’on est encore les seuls, dans un secteur qui grouille de monde. Il s’en suit la descente désagréable de la face Est, versant Français, sur un terrain mal commode, croulant, désagréable. Passage obligatoire au port de Sulló à 11 heures, où l’on se demande encore si l’on va avoir l’audace d’affronter la crête obscure du Verdaguer. On enfile les casques, et un jeune trailer espagnol arrive. Je le questionne sur cette crête qu’il a déjà empruntée, mais il dit ne pas se souvenir vraiment, si ce n’est qu’il y a des cairns et que les échappatoires sont toujours versant Français, donc sur notre gauche. Allez, il n’y a plus qu’à vérifier cela par nous mêmes. Ce moment de bravoure nous permet surtout une économie considérable de dénivelé, en évitant la voie normale bien plus longue. Partir à la base du col par des cheminées toujours à gauche de l’arête. Cette première partie s’avère la plus croulante de l’itinéraire, et le port des casques n’est pas de trop. Il faut se suivre au plus près pour éviter l’accident. Le trailer et son ami sont sur nos talons, nous les laisserons passer car plus agiles. Il y a 3 cheminées qui sont séparées par des passages bien cairnés, dont une que l’on estimera en IV, mais avec toujours de bonnes prises ; ce n’est d’ailleurs pas là que le danger est le plus important. La dernière cheminée très croulante débouche pratiquement au sommet du pic Verdaguer. 11h52, en 4 heures, nous voici sur les 3131 mètres du Verdaguer, et de deux ! On enchaine, c’est une formalité, midi dix, le toit de Catalogne s’offre à nous. La Pique d’Estats, ce phare qui nous guidait vers l’Est depuis 10 jours, est à présent atteint. C’est aussi le point culminant de nos 10 journées d’itinérance. Et de trois ! Cumbre, cumbre ! Nous en sommes à 4h07 de marche. Se percher à 3143 mètres ce n’est pas rien ; pour trouver plus haut, il faut se rendre sur le massif de l’Aneto ou celui du Perdiguère, à plus de 200 kilomètres à l’Ouest, c’est dire la singularité de ce sommet. Cette fois, nous profitons du paysage malgré le monde sur la cime. Et coïncidence remarquable, l’unique français sur place est natif du Soler. Nous allons parler un moment du pays, avant de poursuivre notre collection de hautes cimes. Mais nous « disfrutamos », comme on dit ici, encore de longs instants de ce panorama que l’on avait eu si peu le temps de contempler dans son blanc manteau hivernal, en février dernier.
Face Est du pic de Sotlló et Guins de l'Ase à sa droite
Dans l'arête du Verdaguer
Pique d'Estats vue depuis le Verdaguer
3143 mètres, point culminant de la Catalogne et de notre itinérance
Quelques connaissances des Pyrénées-Orientales
La crête à suivre pour se rendre à la Punta Gabarró
Au moment de repartir vers la cime suivante, mon pied droit heurte négligemment une pierre lorsque je trébuche lourdement (voir la photo ci-dessus), et subitement tout bascule. Je fais un soleil, je ne contrôle plus rien, je vois le ciel passer sous mes pieds et le sol proche de ma tête. Je me réceptionne sur le sommet, mais proche du vide. Le hasard a voulu que je reste en vie, mais cela m’a bien secoué. Tout le côté gauche est meurtri : main, poignet, genou, fessier. C’est le festival de l’hématome. Pas le temps de grimacer, je suis encore debout, du chemin nous attend. Adelante ! Mais ce coup d’adrénaline va me suivre sur l’arête suivante. J’ai manqué à basculer dans le vide sur une plate-forme large de 1,5 mètres, comment rester concentré sur un enchevêtrement de blocs large de moins de 40 centimètres ? Yannick l’a bien compris, et il passe devant moi, même s’il doute de la faisabilité de cette arête totalement différente de la précédente. Celle-ci est aérienne, où l’exposition au vide est permanente, autant dire qu’il ne faut plus trébucher. La désescalade de la Pique jusqu’à la Punta Gabarró est un des moments les plus délicats de la traversée. Fort de savoir que nous avions déjà parcouru cette arête en aout 2015, mais dans l’autre sens, je n’ai aucun doute sur notre capacité à résoudre les passages clés. Pour autant, dans ce sens, tous les passages en III sup en escalade, doivent être reconsidérés, car on les appréhende en désescalade. Ce sera Yannick le plus adroit à trouver les solutions, et à me venir en aide sur un pas retors. Un jeune trailer, agile comme un isard, nous double avec une aisance déconcertante, mais il semble avoir 20 ans de moins que nous. Et oui, l’âge est aussi un facteur qui joue contre nous à présent. C’est à 12h52 que l’on a rejoint le point géodésique nommé Punta Gabarró, culminant à 3115 mètres. Et de quatre ! Plus qu’un et l’objectif sera rempli. Ce sommet porte le nom du prestigieux médecin Pere Gabarró i Garcia, père de la chirurgie plastique en Catalogne. En juillet 1932, il ouvre la voie Gabarró, un nouvel accès à la Pique par un chemin différent du classique port de Sulló. Après 4h33 de marche effective, nous choisissons de prendre le repas ici, avec le trailer. Ce sympathique jeune homme réside à Foix et nous fait part de son périple, qui n’a rien à envier au notre. Long moment contemplatif pour reprendre des forces, se remettre des émotions récentes, et appréhender la suite avec plus de sérénité. La vue qui nous est proposée est immense, et l’on devine dans le lointain, la plaine Ariègeoise. Quelle chance de pourvoir s’offrir cela à la seule force des mollets, et à l’unique prix de la sueur.
Au sommet de la Punta Gabarró
La crête terminale menant au Rodó de Canalbonne
La pique d'Estats et la coma d'Estats depuis la Punta Gabarró (cliquer sur l'image pour agrandir)
13h47, il est déjà temps de se remettre en mouvement. Le trailer repart vers l’Estats, et nous poursuivons cette crête qui plonge vers le Sud. La partie terminale de la crête est nettement moins technique, mais n’en demeure pas moins délicate. Le versant gauche Français a des à pics abyssaux, le versant droit Espagnol est fortement incliné. Le plus simple reste encore de rester sur le fil de l’arête. Nous parvenons à 14h16 sur les 3004 mètres du Rodó de Canalbonne, après 5h02. Le défi des 5 sommets en suivant un seul fil aérien est relevé. Quel plaisir et quelle satisfaction ! Loin de moi l’idée de fanfaronner. Non, c’est simplement le fait de prendre conscience que je ne réaliserai certainement plus ce type de parcours technique, tellement exigeant. Il y a une telle somme de facteurs incontrôlables pour arriver à un tel résultat, qu’il est improbable que tous soient réunis à nouveau dans l’avenir. Je touche du doigt qu’une page pour moi est en train de se tourner. Allez, ne trainons pas, il reste à présent 1400 mètres de dénivelé à perdre, de surcroit sur un terrain exécrable. Nous nous rendons au col de Canalbonne, col sans nom sur la carte IGN, qui jouxte l’un des étangs les plus hauts des Pyrénées, l’estany de la conca gelada. Par ce col frontalier, c’est le retour définitif en France.
Etang de Canalbonne
Rodó de Canalbonne, 3004 mètres, dernier sommet du périple
Estany de la conca gelada
La première partie de cette descente se passe sur un véritable tapis roulant de roche, tapis croulant devrai-je dire ; chaque pas provoque un glissement de terrain, et il faut simplement suivre le mouvement vers le bas. Le monter aurait été autrement plus pénible. Après la traversée d’un ultime névé se terminant dans les eaux glacées de l’étang de Canalbonne, nous voilà rendus au bord de cet étang, pour y refaire le plein d’eau potable. Ce vallon suspendu qui héberge cet étang confidentiel, débouche lui aussi sur un autre vallon d’une verticalité sans égale, celui du Riufret. Il faut bien être attentif à s’éloigner rapidement du déversoir, car les eaux qui s’échappent de l’étang ont creusé une profonde gorge. Une fois dans le vallon de Riufret en ce point, c’est un milieu végétal auquel il faut faire face. La pente de gispet va s’incliner de plus en plus vers le bas, jusqu’à devenir très sévère, mal commode, glissante. Les bâtons vont sauver plus d’une fois des chevilles devenues fragiles après tant de sollicitations extrêmes. La présence de cairns est bien utile pour trouver les meilleurs passages. Que cette descente est longue ! Que cette descente est épuisante ! Le vaste barrage de Soulcem ne semble jamais se rapprocher. Pourtant, pas après pas, nous finissons bien par nous rendre au point le plus bas de ce vallon ; mais il reste encore un bout de sentier avant d’en terminer totalement. Ah, que la marche est meilleure sur sentier ! Que Dieu bénisse le bétail qui entretient naturellement les sentiers ! Quel soulagement quand nous en terminons à 17h14, après une belle journée de 8h14 de marche réelle. C’est la fournaise à Soulcem, nous sommes loin du froid de la veille au sommet du Baborte. Un seul désir nous hante à présent : se laver à l’eau fraiche et prendre du repos. Nous l’avons fait ! L’itinérance, c’est vraiment une discipline à part dans le monde de la marche. Yannick me demande quel sera le prochain parcours en 2020 ? J’ai des idées évidemment, mais pour l’heure, je veux savourer ces derniers 10 jours d’une incroyable intensité émotionnelle et physique.
Le couloir croulant descendu
Etang de Riufret
Trace du jour :
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 8h14 pour 15,65 km à 2,6 km/h
Dénivelé positif total : 1187 m – Dénivelé négatif total : 1934 m
Altitude maxi : 3143 m - Altitude mini : 1600 m
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