Canigou par la voie « Can-I-Go » variante « Deux Ours » (D)
14/07/2020 – Jour 1 : Los Masos – Les bois de Patriques – Ras Prats-Cabrera – Les Cortalets – Voie Can-I-Go – Les Cortalets
Depuis le temps que je parcours le massif du Canigou et que je gravis ce fier sommet, la face Est si verticale m’a toujours fasciné, et a été une sorte de saint Graal. J’ai eu la chance de réaliser partiellement une voie d’escalade en octobre 2015, mais en tant que second de cordée ; mon niveau d’alors ne me permettait pas de prétendre à mieux. Depuis j’ai travaillé, j’ai appris, je me suis émancipé, et cette fois c’est moi qui amène Yannick vers la verticalité. Cette course alpine se déroule en deux actes, mais rien au départ ne nous avait préparés à ça. Nous partons donc pour une course à la journée. Départ à 6h30 du parking de Los Masos de Valmanya, sous un ciel bleu insolent. La montée des bois de Patriques dénivèle fort, il y a du rendement. Plus de 500 mètres avalés en une heure, le rythme est bon. Puis, nous enchainons sur la piste forestière du Llech, et à 8h33, nous voilà rendus au refuge des Cortalets. 1100 mètres de dénivelé avalée en 2h03 avec tout le matériel d’escalade, mérite bien une halte à la fontaine. Puis, nous prenons la direction du glacier rocheux pour rejoindre le pied de la face Est.
Vue sur le cirque du Puig Sec en sortant des bois de Patriques
Un sentier part du refuge au milieu des rhododendrons, dans le clots des Estagnols, pour se faufiler aisément dans le glacier rocheux. Il est l’accès direct à toutes les voies d’escalade. Nous savons que la voie doit nous conduire sous une tâche jaune, nous la repérons de loin pour mémoriser l’itinéraire vertical. A 9h33, nous parvenons au pied de la voie Can-i-Go, cotation AD sup. Temps total de l’approche : 2h52. Afin d’optimiser la cordée, nous progresserons en inversion, chacun passera en tête une longueur sur deux. Nous nous équipons et je débute le premier. Top départ 10h05.
La tâche jaune bien visible depuis le refuge
Les clots de l'Estagnol dans notre dos
Cône menant au pied de Can-I-Go
Gros plan sur R0 pied de la voie
L1 – 50m – 4c : Premier pas un peu raide, puis un ensemble de petits gradins agréables avec de nombreuses prises. De nombreuses plaquettes et relais chainé.
Départ première plaquette
R1 et première plaquette dans L2
Vue depuis R1 sur le glacier rocheux
L2 – 50m – 4c : Nouvelle longueur dans des gradins finissant en dalle ; relais chainé.
Départ de L2
Un peu de verticalité mais pas trop
L3 – 50m obligatoire – 3 : Partir droit au dessus du relais, puis traversée sur la droite le long d’une très grande dalle ; seulement deux plaquettes et relais non chainé sur une plaquette et un vieux piton.
Première plaquette après R3
Toute la longueur de corde utile dans L3
L4 – 50m obligatoire – 3 : Longueur identique à la précédente demandant une bonne lecture du terrain en dalle ; seulement deux plaquettes et relais non chainé sur une plaquette et un vieux piton qui bouge.
Longue longueur avec seulement 2 plaquettes
L5 – 30m – 3 : la longueur passe dans un goulet pour se hisser dans une fissure et finir sur un relais chainé. Nous perdons à cet instant le fil de la voie. Je pose un relais sur un pin. La météo est devenue trop instable. Un vent froid descend la face. C’est un signal qu’il faut interpréter. Encore traumatisés par la grêle dans les rappels du pic de l’Estagnas, nous choisissons de quitter la voie et rattraper le sentier du pic. Un bon alpiniste est un alpiniste en vie.
Sortie vers le sentier du pic en corde tendue
Fin de la voie en mode randonnée
La suite que nous ne ferons pas ce jour avec la fameuse tâche jaune
Gros plan sur R6 que nous venons de manquer
Il est 12h07, fin de la partie après 4h55. Aucune envie de monter au pic qui se couvre d’un épais brouillard. Un peu amers, nous descendons avec une idée en tête : retenter la voie le lendemain ! Nous prenons un repas rapide à l’Estagnol à 13h22 [13h52]. Nous analysons les causes de cette voie inachevée : approche trop longue et météo trop incertaine. Pour réussir, il faudra partir plus tôt depuis le refuge.
Direction la voie normale du pic où l'on constate un plafond bien bas
Nous nous présentons à 14 heures au refuge, concluant une journée de 5h57. Nous n’avions pas prévu de rester sur place, pas de réservation, pas de provisions ; c’est l’improvisation totale. Nous sommes accueillis chaleureusement par Thomas, le gardien emblématique du refuge, qui connait parfaitement les voies d’escalade, et nous prodigue de précieux conseils pour le lendemain. Ici, l’hospitalité n’est pas un vain mot. Nous aurons droit à une chambre, un souper, un petit-déjeuner, et un bulletin météo complet ; nous ne pouvons plus renoncer à l’appel de la verticalité. Avec les conseils de Thomas, Can-I-Go va nous ouvrir les plus belles portes du Canigou. Super soirée en compagnie de jeunes journalistes, pour une fête nationale au calme.
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 5h57
Temps dans la voie : 2h02
Dénivelé positif total : 1561m – Dénivelé négatif total : 513m
Point culminant : 2630m
15/07/2020 – Jour 2 : Les Cortalets – Voie « Deux Ours » – arête de la perdrix – Pic de Canigou (2784m) – Cheminée – porteille de Valmanya – crête du barbet – Les Cortalets – Ras Prat Cabrera – Los Masos
La citation du jour sera : « Les seules limites qu’à un homme sont celles qu’il s’impose. » Goldwit
Départ à 6h25 du refuge, 50 minutes d’approche auront suffi à nous conduire au pied de la voie. Il est 7h15. De ce point part également plus à gauche la voie des Deux Ours d’une cotation supérieure. Comme nous connaissons déjà le départ de Can-I-Go, nous choisissons de débuter par Deux Ours. Comme la veille, nous évoluerons en inversion, et cette fois c’est Yannick qui ouvre. Top départ à 7h45.
Lever du jour sur la plaine du Roussillon
Le pied de la voie prend rapidement le soleil
L'ombre en pointe marque le pied de la voie
Un isard nous attend à quelques mètres de R0
L1 – 50m – 4c : Un ensemble de petits gradins agréables et verticaux ; de nombreuses plaquettes et relais chainé. Longueur très esthétique.
Départ de Deux Ours vu depuis R0
L2 – 50m – 4c : Longueur entre gradins et dalle partant légèrement sur la droite ; relais chainé.
R1 avec la plaquette suivante
Dernière plaquette et relais en mauve
Vue dominante sur le glacier rocheux
L3 – 40m – 3 : On suit une petite crête avec de nombreux points en lunule. Nous allons rattraper la voie Can-I-Go au relais suivant.
Traversée latérale droite pour relayer à Can-I-Go
L4 – 50m obligatoire – 3 : Longue traversée en dalle demandant une bonne lecture du terrain ; seulement deux plaquettes et relais non chainé sur une plaquette et un vieux piton qui bouge.
La voie ne manque pas de fleurs, ici des raiponces
Manquant de longueur de corde, nous avons fait 5 mètres en corde tendue
L5 – 35m – 3 : Courte longueur avec un joli pas au départ puis une traversée en mode randonnée qui tranche avec l’esthétique du premier pas. Yannick s’en étonnera, pensant même avoir fait une erreur d’itinéraire.
L6 – 40m – 4c : traversée en dalle, puis dans un goulet, avant de franchir un mur où l’on trouve le relais immédiatement à la sortie du mur. Je négocie ça en tête étonnamment bien. Nous venons de récupérer la voie perdue la veille. Le brouillard nous happe, nous refroidit, joue à nous faire peur, mais n’a aucune emprise sur notre motivation.
Le mur final (légèrement sombre) est dans l'axe de la plaquette
Relais bien visible depuis le mur
La sortie du mur, Yannick en approche en dalle
L7 – 35m – 4c : départ en dalle puis un bon mur totalement vertical. De très bonnes prises de mains, bien lire le rocher. Yannick s’en amuse ; j’avoue avoir été plus à mon aise dans le mur que sur la dalle en mode gecko.
Départ depuis R8 façon gecko
Arrive le mur de la voie Can-I-Go
L'image est trompeuse, ce n'est encore que de la dalle mais tout se fait sur l'adhérence du chausson
Dernier point avant R9
L8 – 25m – 3 : courte longueur en traversée en dalle et herbe, sous la fameuse tâche jaune. Attention, ce n’est pas technique, mais terriblement exposé. Relais au ras du sol. Ce relais est commun à Can-I-Go et Deux Ours. Grosse confiance et envie d’un petit supplément d’adrénaline, nous partons sur le final de Deux Ours relevant brutalement à cet instant le degré de cotation.
Le relais de "la tâche jaune"
Bien chercher les plaquettes au raz du sol
Vue plongeante sur la marche d'approche
Yannick dans la traversée sous la tâche
Croisement des voies, chacun peut alors choisir son final
L9 – 30m – 5b : mur noir de lichen très vertical, légèrement déversant, riche en prises. Le relais chainé est en plein vide, d’une verticalité vertigineuse. Le hasard de la progression veut que ce soit Yannick qui affronte en tête la difficulté majeure de notre variante. Il s’en sort avec brio. Le sac sur le dos a été pour moi un léger handicap, tout comme la fatigue accumulée.
Mur noir plus technique qu'il n'y parait
On peut apercevoir le léger dévers
L10 – 40m – 5a : départ droit dans l’axe, puis tirer à droite toute. C’est moi qui ai le plaisir de finir la voie par un 5a sympathique. Relais chainé à quelques mètres de l’arête de la perdrix. Lorsque je me vache au relais, je lâche un cri qui retentira au-delà de la Méditerranée (au moins !). Une régalade comme on dit chez nous. Fin de la voie à 12h27, après 5h32.
Yannick à R10 dans le vide
La fin est proche
Nous nous libérons des cordes, et c’est par l’arête de la perdrix que l’on s’offre les 80 derniers mètres d’ascension du pic. Sommet à 12h53 en 5h43. Jamais nous n’avons mis autant de temps à gravir le pic en partant du refuge, mais l’essentiel n’était pas là. Le bonheur est ailleurs, le bonheur est dans la verticalité, le bonheur est dans la fraternité. C’est mon 33ième Canigou, et certainement le plus mémorable à tout point de vue. Je n’aurai jamais pensé progresser au niveau technique et endurance encore après la quarantaine bien tassée. Lorsque je pose pied sur le pic, deux jeunes adultes nous accueillent avec un grand sourire dans un éclat de rire franc et sincère. Ceux sont deux jeunes nouveaux bacheliers marseillais que nous avions rencontrés 3 jours plus tôt dans la vallée du Nabre ; ils suivent le GR10 pour rejoindre la mer, et le hasard a permis que nous nous retrouvions ici. Bonne continuation les gars ! Repas sur place et retour à 14 heures par la cheminée.
Dans l'arête de la Perdrix
Il aurait pu faire plus beau, il aurait pu aussi faire plus moche, nous garderons le meilleur
Chocard jouant à l'alpiniste
Descente classique de la cheminée, puis légère remontée avant de bifurquer avant la porteille de Valmanya, pour passer par la crête du Barbet. Le brouillard nous masquant la vue, nous plongeons avec confiance sur le refuge des Cortalets. On gagne la piste forestière, pas l’itinéraire le plus spectaculaire mais clairement le plus rapide. Nous croiserons une dernière fois Thomas sur la piste, qui a crevé avec son camion. Nous échangeons nos très bonnes impressions sur le mix des deux voies, notamment le dernier mur noir, et chacun reprend sa route. Ras Prat Cabrera, bois de Patriques, parking. Malgré une journée de 9h09, la fatigue n’a pas eu raison de notre entrain. Une régalade !
Un grand merci à Thomas Dulac pour ses voies, son accueil, son sourire. Nous reviendrons.
La cheminée pour une fois vide de monde
Tracé du jour :
Topo des deux voies
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 9h09 pour 15,85 km
Temps dans la voie : 4h42
Dénivelé positif total : 706 m – Dénivelé négatif total : 1831 m
Point culminant : 2784m
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