Pico de Aneto par le couloir Estasen (PD+) et Punta Oliveras depuis plan de Senarta
12/02/2022 : Plan de Senarta (1380m) – Refugio Coronas – vallon de Coronas – Couloir Estasen (PD+) – Pico de Aneto (3404m) – Punta Oliveras Arenas (3292m) – Collado de Coronas (3201m) – vallon de Coronas – Refugio Coronas – plan de Senarta
Préambule : Je connais le toit des Pyrénées depuis l’âge de 17 ans, mais uniquement par son versant Nord, c'est-à-dire la voie normale, et uniquement pendant la saison estivale où début de printemps. Cette nouvelle incursion propose de découvrir le versant Sud, et tenter de se hisser sur la crête sommitale par un couloir. Cette option permet de ne franchir qu’une fois le Paso de Mahomet, bout d’arête étroite qui peut vite se compliquer en cas d’affluence. En vue de grimper « le plus léger possible », je vais faire l’impasse sur le confort afin de gagner du poids. Sac de couchage 10°C décathlon à la place de mon -10°C Triple Zéro, et matelas court 1,20m à défaut de la version longue 1,80m. La nuit qui m’attend va être dantesque.
Départ depuis l’extrémité amont du barrage de Paso Nuevo à 16h50. Le ciel est gris et quelques gouttes tombent en silence. Remonter le vallon de Vallibierna en suivant le GR11 en direction du refuge de Cap de Llauset. Pas de doute sur l’itinéraire, c’est une piste forestière parfaitement signalisée.
Point de départ
Intersection, partir à gauche
Peu à peu, les gouttes deviennent de petites billes de neige, mais cette averse reste très éparse. Passage au refuge del Quillon, juste le temps de constater qu’il ne doit servir qu’en ultime recours tant il est inconfortable (vitre brisée, couchage à même le sol). La neige sur la piste fait alors son apparition. La portance est médiocre, mais cela ne nécessite pas l’obligation de l’usage de raquettes ou skis, car la profondeur reste assez faible. Arrivée au refuge de Coronas à 18h37, pour 1h47 d’approche.
Ambiance lugubre sur le Pic de Vallibierna
La nuit s’installe au même moment, et la neige cesse de tomber. Je suis seul à cet instant. Le refuge n’a pas de poignée, un caillou bloque l’entrée par l’intérieur. Je mange et je me couche à 19h30. Il fait 3,8°C à l’intérieur du bâtiment, le froid me gagne vite dans mon sac de couchage. Je reste éveillé jusqu’à 22 heures au cas où de nouveaux arrivants se présenteraient, puis je tente de trouver le sommeil, qui ne vient pas. Grand bruit à minuit moins le quart, un espagnol se présente à la porte. En voilà une surprise ! Coincé dans mon sac de couchage par une fermeture éclair qui ne veut pas coulisser, je rampe pour lui ouvrir. Nous faisons connaissance, je lui annonce que je me lèverai dans à peine trois heures, et sa réponse est à la hauteur de son étonnement « ¡Joder es muy temprano! ». « ¡Buenas noches tío! ». Mais le sommeil ne viendra jamais, il fait beaucoup trop froid, j’ai les pieds saisis par l’ambiance glaciale. Le réveil sonnera la délivrance d’une nuit blanche interminable.
Refugio Coronas
10 à 12 places possibles
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 1h47 pour 7,5 km à 4,2 km/h
Dénivelé positif total : 590m – Dénivelé négatif total : 0m
Point culminant : 1970m
Debout à 3h30 par 2,8°C, je quitte le refuge à 4h00. Le froid est vraiment mordant, et tout ce qui ressemble à de l’eau est transformé en glace. La neige est dure à souhait, départ crampons aux pieds. Je n’ai jamais mis les pieds dans ce versant du massif, je pars en découverte totale. Il faut suivre la piste à l’arrière du refuge sur presque 500 mètres, puis tourner à gauche selon le fléchage, en direction du vallon de Coronas. La pente est progressive. La prise de dénivelé se fait brutalement pour franchir le verrou qui porte l’íbonet de Coronas. Ce passage en versant Ouest haut de 160 mètres, est étrangement totalement sec de neige. Je passe proche de l’étang à 5 heures, et je poursuis l’ascension sans m’arrêter. Mais 15 minutes plus tard, je suis foudroyé par une grosse fatigue. Je connais cette sensation brutale d’une fatigue intense ; c’est une hypoglycémie. Certainement que la lutte contre le froid durant les dernières heures a entamé mes réserves. Je m’effondre sur la première pierre qui affleure la neige. Mon cœur bat la chamade sans vouloir redescendre. Des pensées négatives m’envahissent, l’incertitude de mon entreprise me trouble l’esprit. J’avale el desayuno plus tôt que prévu, et la lucidité revient à la vitesse du sucre qui pénètre mon flux sanguin. Allons de l’avant à la rencontre du jour, et j’analyserai la situation en suite. La montée à l’íbon inferior est un mur de 200 mètres tout en versant Sud/Ouest. La neige est parfaitement glacée facilitant une marche efficace. Il y a des traces de pas qui me facilitent la recherche d’itinéraire. Au niveau de l’étang, il faut changer de cap, direction le Nord/Ouest pour éviter de grosses barres rocheuses et quelques murs de neige. J’arrive aux Ibones de Coronas à 6h30, j’en profite pour faire une nouvelle pause alimentaire. Je suis pratiquement à l’altitude du Canigou (2784 mètres). Les premières lueurs du jour éclairent mon décor.
Vue vers le Sud sur la Tuca de Roques Trencades
Plein centre le collado de Coronas, à sa droite el Pico de Aneto
Plein centre le Pico Aragüells (3048m)
Le cirque qui m’entoure est vraiment impressionnant, couronné par des crêtes culminant à plus de 3000 mètres. C’est de la haute montagne. Il s’agit à présent de s’élever le long de la moraine frontale de l’ancien glacier. Je découvre pour la première fois ce qui m’attend, c'est-à-dire la face Ouest du toit des Pyrénées. Je m’alimente tout en m’élevant, car je ne compte pas me faire prendre à nouveau par une hypoglycémie. La marche est lente, il faut dire que je viens de dépasser l’altitude symbolique du pic Carlit (2921 mètres). Il faut s’élever encore et encore, c’est long mais dans le silence que seuls mes pas viennent briser, cela prend une toute autre saveur. Je parviens au pied de la face Nord/Ouest à 8h27, pour 3h55 d’approche mémorable. Voilà le pied du couloir.
El pico de Aneto apparait plus distinctement
Le pied du couloir apparait sur la droite
Le couloir se dévoile partiellement d’où je me trouve. L’entrée dans ce dernier va demander un peu de réflexion. J’enfile le casque, j’empoigne les piolets, et me voilà parti sur un cône de déjection bien long. Gravir le cône est déjà une petite victoire. Il faut dire que l’entrée du couloir se trouve quand même à 3150 mètres ; ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre cela. Un gros amas rocheux barre l’entrée, et deux passages se proposent à droite et à gauche de cet obstacle. Je choisis le passage de gauche, plus large et plus haut. C’est tout en glace. El paso con hielo ne m’inspire guère. La température à cet instant est de -9°C. Je n’ai pas investi 340 km de route aller et une nuit glaciale, pour renoncer si proche du paradis. Il est 8h40, !Vamos!
Traverser une cuvette pour remonter vers le couloir
Le long cône et l'entrée du couloir Estasen plein centre
L'entrée en condition "limite" - j'ai choisi l'accès de gauche
Le passage mixte en glace dure
L’exercice en solitaire est délicat. Il faut « caresser la glace » tout en crochetant fermement. Il n’y a pas de seconde chance, ça doit passer en douceur. Avec la puissance de la gazelle et l’agilité du buffle, je me lance. Après avoir effacé 3 mètres, toute chute étant à présent inenvisageable, et l’exercice trop hasardeux, je quitte la glace pour le plein mixte rocheux. La suite n’est pas meilleure, mais cela permet de varier les appuis. Cela conduit au dessus de l’amas rocheux et permet d’entrer totalement dans le couloir. Ça c’est fait ! Plus d’obstacle ou autre bloc encastré. Le stress peu faire place au plaisir. Entonces es hora de disfrutar.
L'entrée du couloir vue après les difficultés majeures
La suite moins technique, n'est pas offerte pour autant
Vue sur le collado de Coronas à gauche
Vue de dos le chantier n'est pas mal
Le couloir Estasen est large. La pente est assez constante avec 50 degrés d’inclinaison maximale. C’est tout sur les pointes avant, pratiquement aucun répit pour les mollets. Au même instant, il faut faire face à un paradoxe cruel où les orteils sont glacés et les mollets sont en feu. J’ai le souffle court, il manque cruellement cette molécule indispensable nommée oxygène. Pour autant, les conditions de grimpe sont parfaites. Le couloir se divise en plusieurs branches, et jusqu’au croisement de celles-ci, la pente reste constante. Je prendrai la branche de gauche, plus directe pour le pic. Le couloir a déjà été parcouru cet hiver, mais les traces sont presque effacées. Qu’importe, c’est une aide mince que je prends avec plaisir. L’ambiance générale devient fantomatique avec l’apparition du brouillard, mais pas de doute sur la suite. L’inclinaison diminue sur le final, facilitant la sortie à la hourquette à 3330m. Je sors au soleil à 9h52, après 5h07 d’efforts.
Le croisement des diverses branches
Le final se méritera tout autant que le début
Neige moins abondante mais de très bonne qualité
La visibilité diminue aussi vers le bas
La sortie est dégagée de tout obstacle, et même de neige
La sortie vue vers le bas
Il faut tourner à gauche dans les blocs de roche. La courte et attrayante arête terminale demande en ce jour de la prudence, car le rocher est couvert d’une pellicule de gel. Cela ne dépasse jamais le II+ sur bon rocher, mais cela reste glissant. Grande émotion lorsque j’aperçois enfin la croix sommitale au bout de l’arête. Arriver sur le toit des Pyrénées ainsi est inexplicable. Je foule enfin les 3404 mètres à 10h11, après 5h19 d’ascension. Si j’avais eu l’envie de grimper encore, il n’y a plus de point plus haut à cet instant. Je suis si fatigué que la joie est contenue. J’ai le privilège d’être seul et pas âme qui vive sur mon horizon.
La crête terminale
Vue vers l'Est sur la brèche des Tempêtes
La sortie du couloir sur l'arête
¡Cumbre! 3404 mètres plus près du ciel
Un vent d’altitude souffle entre 30 et 40 km/h. La température est à l’instant de -7°C, ce qui donne un refroidissement éolien de -15°. Beaucoup de nuages sur les vallées, la vue n’est pas si dégagée que je l’aurai souhaité. Mais quelques connaissances émergent dans ce foisonnement de cimes. Je ne peux supporter le froid sur le visage bien longtemps, alors à 10h30 je quitte le sommet. Je veux également profiter d’être seul pour franchir el paso de Mahomet.
Beaucoup de place au sommet
Vue sur le Pico Maldito et Pico de la Maladeta
Telle une île flottante le Posets dépasse des nuages
Vue vers le Nord
Vue vers le Nord/Est
Gros plan sur le Montardo
Gros plan sur la crête des Besiberris
Le paso de Mahomet est une courte arête de 30 mètres, sans difficulté majeure, mais le gel ne met pas en confiance. Je prends le temps nécessaire pour passer les 3 véritables obstacles et j’en ai fini avec les difficultés. Que je crois ! Le vent me pousse vers le bas, alors profitant de l’élan, je m’offre une cime secondaire du nom de Punta Oliveras Arenas, atteint à 10h45. Un peu à l’abri du vent, je profite encore un instant de la vue et de l’air raréfie à plus de 3300 mètres.
Le paso de Mahomet vu depuis la cime
Le paso de Mahomet vu vers la cime
Vue vers le couloir Estasen, le couloir n'est pas vraiment visible
Descente vers la Punta Olivera Arenas
Le sommet s'éloigne à la vitesse du vent
Au sommet de la Punta Olivera Arenas
Ensuite, il faut descendre jusqu’au collado de Coronas pour basculer dans le vallon éponyme. Le col est barré par une accumulation de neige monumentale, ayant formé une cuvette entre la roche et la neige. Le passage réel se trouve après la cuvette. C’est un passage rocheux très raide, composé de roche et de gel. Après l’entrée du couloir en glace quelques heures plus tôt, c’est le passage le plus exposé au danger. Pas après pas, je me joue des difficultés pour rattraper le manteau neigeux. Mais au même moment, un jour blanc fait son apparition. Impossible de distinguer l’inclinaison de la pente, le ciel du sol, il n’y a plus aucun relief. Le GPS va être un allié efficace pour rattraper mes traces matinales. Quand soudain, le brouillard se lève définitivement, me laissant profiter enfin de ce paysage singulier.
Intégralité du couloir tel qu'on peut le voir (photo Philippe Queinnec)
Descente du Collado de Coronas, oups ça glisse !
Les étangs de Coronas et le Pico Aragüells
Tout devient plus simple avec la visibilité, plus évident. La neige porte encore très bien, j’en profite alors pour perdre le plus de dénivelé possible. Je fais la pause almuerzo à 12h25, à 2509 mètres, bien au-dessus de l’íbonet de Coronas, proche d’une source. Déjà 7 heures de cheminement. Je suis toujours seul dans le massif, c’est tout simplement incroyable. Cette fois le soleil est au rendez-vous, la vie est belle.
Forte pente menant à l'íbon Inferior
Cirque nommé Crencha de Piedres Albes, entre l'íbon Inferior et l'íbonet de Coronas
Je reprends la descente à 12h55. Après 15 minutes seulement, la neige disparaît en passant en versant Ouest ; je peux donc ranger définitivement les crampons, et passer à nouveau en mode randonneur. Il fait pratiquement trop chaud, c’est une météo printanière. Le retour est alors relativement rapide après un court passage au refuge à 13h57, puis la longue piste forestière du GR11. Fin d’une journée incroyablement variée à 15h21, après 9h17. Le couloir est côté PD+, mais les conditions du jour relèvent nettement la cotation à AD sup. De nos jours, la voie normale du pic d’Aneto est sans grande originalité ; voilà une façon moins cavalière de gravir ce prestigieux sommet, lui donnant ainsi plus de grandeur encore.
Bas du cirque sous l'íbonet de Coronas
Carrefour 500 mètres avant el refugio de Coronas
Une avalanche sur le GR11, ça ne plaisante pas !!!
Trace du jour :
Vue 3D
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 9h17 pour 20,9 km à 2,25 km/h
Longueur totale du couloir : 300m
Dénivelé positif total : 1502 m – Dénivelé négatif total : 2112m
Point culminant : 3404m
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