Rando dans les Pyrénées en toute simplicité

Rando dans les Pyrénées en toute simplicité

Couloir de l’étang d’Estats (AD inf) et Pointe de Montestaure

09/03/2019 : parking de l’Artigue – Bois de Fontanal – Orri de pla Nouzère – refuge du Pinet – couloir de l’étang d’Estats – Guins de Taps (2631m) – Pointe de Montestaure (2641m) – Port de Montestaure – vallée de l’Artigue – parking de l’Artigue

 

« La montagne nous offre le décor. A nous d’inventer l’histoire qui va avec ! » Nicolas Helmbacher

Le massif d’Estats/Montcalm propose en hiver, une ambiance très haute montagne. De la neige en quantité, des pentes abruptes, des couloirs dont l’approche est interminable, si bien que personne s’y aventure. Ici, rien n’est offert, il faut tout gagner par la volonté. Je ne savais pas ce matin en me levant, combien cela allait être vrai, et combien ma volonté allait être mise à l’épreuve. Je vais donc à la découverte d’un couloir sur la face Est du Guins de l’Ase. Pour un départ matinal, j’ai dormi au point de départ, ce qui me permet de me mettre en marche dés 5 heures du matin. Départ classique donc, depuis la centrale électrique de l’Artigue. C’est une nuit noire, une nuit d’encre, pas la moindre source de lumière. Seule la lueur de ma frontale vient ouvrir un petit tunnel lumineux, dans cette obscurité digne d’une grotte. Il faut suivre le sentier de la voie du Nord qui monte au refuge du Pinet. On trouve la neige juste après le pont qui enjambe le torrent de l’Artigue. Commence alors la montée en raquettes, dans le Bois de Fontanal. En solitaire tout va plus vite, et c’est d’autant plus vrai quand il n’y a rien à voir autour de soi. Je passe l’orri de Pla Nouzère sans m’en rendre compte. La difficulté commence. Il faut traverser la grande combe, de gauche vers la droite, dans un dévers prononcé. Heureusement, la neige porte parfaitement bien, mais il se met à neiger. Mais que ce passe t’il ? Ce ne sont pourtant pas les prévisions météo du jour ! Pour le moment, la neige est semblable à de toutes petites billes de glace, de façon très éparse. Pas de quoi me décourager ! Le jour se lève. La montée vers le refuge de l’étang du Pinet est déjà une course dans la course. Une fois la combe traversée, il faut remonter une sorte de crête avec un certain nombre de ressauts très raides. Cet exercice est éprouvant, éreintant. Attention, toute glissade conduit invariablement au fond du canyon du ruisseau d’Estats ; ne pas s’y aventurer sans les piolets aux poings. 7h53, j’arrive enfin au refuge de l’étang du Pinet, où je vais pouvoir me reposer, et me restaurer. 2h53 pour m’y rendre, mais que ce fut dur !

 

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Le refuge est vide, propre. Ce moment de calme m’était nécessaire pour retrouver l’envie de se faire mal. La météo n’est pas meilleure, mais n’a pas empiré. Il est trop tôt pour faire demi-tour, je m’obstine, je chausse les crampons et je me remets en marche à 8h26. Direction le fond du vallon, où dorment du sommeil hivernal, les eaux de l’étang d’Estats. La visibilité est réduite. Changement radical de qualité de neige ; il y a 15 centimètres de neige fraiche qui botte à chaque pas. Dans ce cheminement en dévers, c’est extrêmement pénalisant d’un point de vue sécuritaire. La progression s’en trouve fortement ralentie. A la première occasion, je descends sur le lit du ruisseau pour quitter le dévers, et où la marche est enfin plus naturelle. Je me retrouve au pied du couloir à 9h32. Comme je l’avais pressenti, cela aura demandé 4 heures d’approche. Une éternité ! La particularité de ce couloir, est qu’il est invisible durant toute l’approche.

 

Il faut se rendre au fond du vallon, ambiance lugubre

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Le long cône et l’entrée du couloir qui se dessine

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« L’alpiniste est un homme qui conduit son corps où, un jour, ses yeux ont regardé ». Gaston Rébuffat

J’avais repéré ce couloir il y a un mois, quand avec Yannick, nous avions gravi la Pique d’Estats. Je ne connais rien de ce dernier, pas le moindre topo. Je découvre à mon grand étonnement, qu’il n’y a pas une, mais deux entrées. Je m’engage dans la branche de gauche. C’est un couloir rectiligne, d’une inclinaison à 50° de façon constante. La qualité de neige n’est pas meilleure ; je m’enfonce à chaque pas. Pire parfois, les pas glissent en arrière. Il faut redoubler de cadence pour ne pas perdre le bénéfice de l’effort. Bras droit, pied droit, bras gauche, pied gauche, et ainsi de suite. Tous les 6 pas, reprise du souffle, et c’est reparti pour ces mouvements d’une incroyable régularité, et le silence. Le silence sourd que peut procurer la neige, qui étouffe le moindre murmure. Quelle ambiance ! De la haute montagne Ariégeoise. Et chaque pas où il faut lever sur plus de 40 centimètres le poids de la chaussure, crampons plus paquet de neige, pratiquement 3 kilos. Du physique, vous avez dit du physique ? Comme c’est physique !

 

L'entrée du couloir

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2 couloirs possibles, je prends celui de gauche
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Une corniche semble fermer la sortie
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Une partie déjà gravie

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Une vague de neige pétrifiée barre la sortie

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Toboggan blanc dans mon dos

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Arrive enfin le crux comme on dit en escalade, le fameux passage clé : une corniche haute comme un autobus. Elle est défendue par un passage en mixte. J’analyse la situation et il me semble que sur la gauche de la corniche, l’inclinaison de la pente doit me permettre de sortir du couloir. En alpinisme, plus qu’ailleurs, il faut savoir sortir de sa zone de confort, si l’on veut progresser. C’est maintenant où jamais où je vais être confronté à moi-même. Il va falloir engager la viande.

Je négocie le passage en mixte avec de bonnes prises sur le rocher. Les piolets sont inutiles, seuls les appuis mains/pieds comptent. Me voilà sous la corniche. La plate-forme est étroite. Je mesure presque deux mètres et je me tiens debout ; cela donne une idée du monstre. Si elle vient à rompre subitement, je serai instantanément écrasé par cette masse de neige compacte. Je dois sortir immédiatement de la mâchoire du monstre. J’espère que la partie verticale qui se trouve sur ma gauche sera praticable. La traversée sous la corniche est un grand moment de solitude, car les pas m’ont aucune consistante, ça glisse, rien ne tient. Pourtant je vais réussir à faire deux pas stables pour m’extraire de là. Sorti d’affaire ? Hélas non ! Cette fois je suis le nez sur un mur de 90 degrés d’environ 2,5 mètres de haut. Si la neige avait été béton, j’aurai pu ancrer les pointes des crampons, crocheter les piolets, mais non, c’est de la semoule qui ne demande qu’à rompre. La sortie est si proche et si loin à la fois. Le piège vient de se refermer. Une décharge d’adrénaline me traverse le corps. La situation vient de basculer. Je me ressaisis, immédiatement, je m’interdis d’avoir peur. Oui, je m’interdis d’avoir peur, et avoir peur il y a de quoi, mais la peur conduit à l’erreur. Si mes pieds se dérobent, je ne me fais aucune illusion sur ce qu’il va en advenir. Le constat est simple : je voudrais qu’on me sorte de là, qu’on me hisse, qu’on me téléporte, que cela ne soit jamais arrivé, mais non, la réalité est bien plus sournoise. Je dois faire demi-tour, seul. Il m’a été dit qu’en escalade, si on sait ce que l’on doit faire, on le fait et ça passe, point ! C’est donc ce que je vais m’appliquer à faire. J’avais assuré des appuis pour les pieds, ceux sont cela même que je vais utiliser pour passer à nouveau sous la corniche, et poser les pieds sur l’éperon rocheux. Tout va très vite. Une fois les mains sur les bonnes prises de pierre, je sais que je reviens de loin. Je me dégage de ce piège, et vais me mettre à l’abri sur la sortie de droite. Mon dieu, je reviens de très loin. Je viens de toucher mes limites en solo, mais sans frais. Ni pensons plus, le couloir n’est pas fini.

 

Passage en mixte sortant sous la corniche

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Sous la corniche

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Vue du mixte depuis la corniche

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Autre vue sur l'endroit où je me suis arrêté

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Le couloir échappatoire

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Je vais au plus simple à présent. Les deux sorties sont pourtant proches physiquement, mais les apparences sont bien différentes, et c’est tant mieux. Cette fois, c’est une formalité. Sur le faîte de la crête, mes jambes tremblent, elles peuvent enfin ! 11h37, je viens d’en finir avec ce couloir lointain, un couloir qui débouche en Espagne. 5h55 d’efforts depuis mon départ « de madrugada ». C’est une leçon d’humilité que je viens de recevoir. C’est une étrange sensation paradoxale où se mêlent le sentiment d’avoir reçu une fessée, mais aussi d’avoir été David qui a terrassé Goliath. Que faire à présent alors que le Guins de l’Ase a la tête sous les nuages ? Je n’ai plus le désir d’affronter de nouvelles difficultés, alors que la météo ne semble pas jouer en ma faveur. Seul retour possible à présent, long mais fiable : suivre la crête frontalière, jusqu’au port de Montestaure.

 

Sortie plus fréquentable totalement à droite

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Le Guins de l'Ase où l'on voit la sortie de la corniche
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La crête à suivre

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Sur la droite versant Français

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Je ne connaissais pas cette crête, mais c’est un bonheur que de voir qu’elle est débonnaire, jusqu’au col où je dois me rendre. Le contraste est saisissant avec le versant Est abrupt, et le versant Ouest tout en douceur. Le manque de neige est même choquant. La crête est pratiquement sèche. J’avance alors le plus loin possible, avant de prendre le repas, à 12h15. Cela fait déjà une bonne demi-journée de 6h20 de marche.

 

Borne proche du Guins de Taps

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Dans mon dos, une partie parcourue

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Vue vers l'Ouest à l'heure du repas

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Alors qu’un vent de Sud froid souffle sans discontinuer, le ciel semble s’ouvrir pour laisser afin apparaitre des parcelles de bleu céleste. La journée prend enfin une belle tournure. Le chemin du retour va être long, pas le temps de s’éterniser, à 12h35 je me remets en action. La suite est évidente, suivre la crête jusqu’au port de Montestaure, et plonger à nouveau en versant français. Comme il n’y a aucune difficulté majeure, je m’offre au passage, la Pointe de Montestaure, sommet qui permet d’apprécier les pentes abruptes du passage de Bang. Je passe sur la Pointe de Montestaure 13h41 en 7h21.

 

Le proche panorama se dévoile enfin intégralement

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La douce crête du Bang
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Festival de corniches

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Gros plan dans mon dos sur le Guins de l'Ase et le col marquant la sortie du couloir d'où je viens

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Panorama plus large

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En quittant la Pointe de Montestaure

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Panorama depuis la Pointe de Montestaure
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De la pointe à la crête menant au port éponyme, il n’y a qu’un pas. Cette crête est également constituée de corniches, et l’accès dans le vallon de Montestaure n’est pas gagné pour autant. Je m’aperçois qu’un mur blanc bloque la descente du col. Je m’engage aussitôt dans le premier couloir praticable, par une désescalade en crampons/piolets. Les vingt premiers mètres sont critiques mais la suite peut se faire face à la pente. Pas une trace là encore. Ce cirque suspendu est un mur blanc fait de neige molle ; seuls des skieurs pourraient s’amuser dans ces belles pentes, si toutefois ils parvenaient à se hisser sur la crête. La descente est rapide, facile même. J’ai la chance d’éviter le brouillard et de profiter du paysage sauvage de la vallée de l’Artigue.

 

Le vallon immaculé où l'on devine l'étang
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La même vue prise à l'automne 2013

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La trace depuis l'arête

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Être attentif à bien surplomber l'étang
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La suite n’est plus qu’une longue, très longue, bien longue descente du vallon de l’Artigue. La neige porte de moins en moins mais ça passe encore en crampons. Les deux versants sont avalancheux et portent les stigmates des avalanches de la saison. Il n’y a plus rien à craindre à présent, mais c’est un lieu à proscrire après une chute de poudreuse. Je profite pleinement de la solitude qui habite ce lieu. Je profite pleinement de la tournure positive de la journée. La suite en images.

 

La vallée à descendre

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Restes d'avalanches finissant dans le torrent de l'Artigue
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Au niveau du torrent, plus aucun équipement n’est nécessaire, le sentier est pratiquement sec de neige. Cette partie me parait bien monotone. C’est également le sentier de la Raspe qui conduit à la Pique Rouge de Bassies. Fin de la boucle à 17h02, après 10 heures de marche pas toujours simple. Parcours exigeant, éprouvant, mais parcours sauvage au possible. Il y a encore à découvrir dans ce secteur, mais je vais laisser arriver les beaux jours avant de recommencer ce type d’aventure.

 

Pas de passerelle, pour franchir à gué bonne chance !
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Vue sur le versant menant au refuge

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On devine au loin le Guins de l'Ase
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Gros plan sur le Guins de l'Ase et la sortie du couloir
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Tracé du jour sur carte IGN 1/25000

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Les chiffres de la journée :

Temps de marche total 10h00 pour 18,4 km à 1,9 km/h

Temps pour faire le couloir : 1h55

Dénivelé positif total : 1760 m – Autant en négatif

Point culminant : 2779 mètres



10/03/2019
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