Mont Valier par le couloir Faustin (AD sup)
30/03/2019 : vallée d’Estours (667m) – GR10 – cabane d’Aula – couloir Faustin – col Faustin (2551m) – Mont Valier (2838m) – col Faustin – Petit Valier (2736m) – col de Peyre Blanc – cabane d’Aula – GR10 – centrale d’Estours
J’ai rendez-vous aujourd’hui avec un sommet majeur d’Ariège, car même s’il n’est pas le plus haut dans son secteur, il n’en demeure pas moins le plus emblématique : le Mont Valier 2838 mètres. Visible depuis Toulouse, unique sommet de moins de 3000 mètres à posséder un glacier, un versant Est présentant une verticalité redoutable, ce sommet a inspiré de nombreux auteurs, pyrénéistes et alpinistes de renom. Pour gravir ce sommet, j’ai longtemps cherché l’itinéraire le plus pertinent, pour être à la hauteur d’un tel sommet. Quoi de mieux que de l’aborder en hivernale par l’emblématique couloir Faustin. Flanqué d’un bloc coincé qui en bouche l’entrée, d’une hauteur de 600 mètres, le couloir Faustin ne s’apprivoise pas si facilement. La pratique habituelle consiste à dormir à la cabane d’Aula, car la course est vraiment longue. Changement d’horaire oblige, nous voulons éviter de perdre une heure de lumière naturelle au lever du jour dimanche matin, alors nous nous lançons le défi utopique de tout faire à la journée. Il fallait bien une équipe composée de quatre gars du Vallespir, forgés et trempés dans le fer des mines de Batère, pour entreprendre une telle utopie.
« J’espère que dans certains cas, des utopies d’aujourd’hui deviendront les réalités de demain. » Théodore Monod.
Départ dès 3h55, à 667 mètres depuis le parking de la centrale électrique, dans la vallée d’Estours, où nous venons de passer 4 heures de sommeil. L’aventure vient déjà de commencer. La journée promet d’être longue. Nous suivons le sentier GR10, rive droite du torrent, dans l’obscurité la plus totale. Le ciel étoilé nous garantit le beau temps et le froid. L’horaire moyen d’été est de 3h30, en avant ! Jean-Marie ouvre la marche, Joël la ferme, et Yannick compose le quatrième larron de la bande. Sur un train d’enfer et sans la moindre hésitation, Jean-Marie nous mène jusqu’à la cabane d’Aula. Seul, un vent catabatique vient perturber la thermorégulation générale. Il est 6h25, le jour vient de se lever, 2h30 d’approche en hiver, ce n’est pas si mal ; nous venons de « gagner » une heure. Des lueurs de frontales en direction du Faustin, montrent qu’il y a déjà des prétendants au couloir. L’écart entre eux et nous est tel, que nous savons déjà que nous ne nous verrons pas. Les premières lueurs du jour donnent toujours de très belles couleurs.
Les Cuns d'Aula
Premier regard sur la face Sud du Valier, la face du Trou Noir
Sans arriver à la cabane, il faut bifurquer sur la droite, pour une traversée ascendante, en forêt. Il est temps de chausser les crampons. Il est 6h55, et déjà 3h02 de marche, pour 880 mètres de dénivelé. Finalement ça dénivèle peu. C’est également le moment de manger un bout. Malgré un bon regel, la neige a une qualité de portance très inconstante. Ce passage mal commode demande déjà une attention soutenue.
Mont Valier et Petit Valier séparés par le col Faustin
Approche fastidieuse sur les coulées d'avalanches
Il est déjà « tard » (plus de 9 heures) pour ce type de couloir orienté plein Est, quand nous nous présentons à la base du cône de déjection. La neige porte très mal, et la progression s’en trouve fortement ralentie. Malgré les efforts sans retenue de Jean-Marie, nous ne pouvons pas avancer plus vite que ce qu’imposent les règles du jeu du moment : neige molle et pente très raide, proche des 50°. Ce cône est interminable, le bras de force semble inégal, mais jamais notre moral ne faiblira. Nous sommes convaincus qu’il faut atteindre le bloc coincé pour que la partie soit gagnée. C’est bien naïf de croire cela, mais cet espoir nous galvanise.
Coupant en travers le cône de déjection, une crevasse avec un mur de glace. C’est spectaculaire de constater un tel phénomène alors que nous ne sommes pas sur un glacier. Jean-Marie est face à l’obstacle, je m’approche de lui pour admirer cette curiosité de la nature, quand soudain ! Boom ! Un cri sort de ma gorge, ma tête vient se tasser dans mes épaules, je m’écrase au sol. Je viens d’être percuté sur le crane par un sérieux bloc de glace. Je suis sonné. Jean-Marie crie à son tour, c’est son pied droit qui vient d’être heurté par un projectile. Yannick plus bas nous exhorte à sortir au plus vite de l’axe du couloir, une pluie de glace et de roche s’abat sur nous. Je rampe sur la gauche pour trouver un abri, je suis touché à nouveau à l’épaule, sur le sac, mais j’évite les blessures. Voilà un bel exemple, s’il fallait, qu’un casque est indispensable, et la profonde marque sur le mien confirme son rôle de sauveur. Nous venons d’éviter le pire ! Jean-Marie souffre d’un orteil, mais serre les dents, il en a vu d’autres. Nous allons tous nous abriter sous la paroi de gauche pour faire le point sur l’état général. Il faut une bonne dose de courage pour repartir. «J'ai appris que le courage n'est pas l'absence de peur, mais la capacité de la vaincre.» Nelson Mandela
Enfin le bloc coincé est à vue
Nous changeons de tactique dans la progression à présent. Jean-Marie, toujours en tête va avancer au plus vite, pendant que l’on va scruter les possibles chutes de pierres, puis il se mettra à l’abri et surveillera, afin que nous montions à sa hauteur. Joël ferme toujours la cordée, l’œil vigilant. Nous arrivons au bloc coincé à 10h10, après 5h25 d’approche. Nous venons de gagner 800 mètres de plus depuis la forêt où nous avons cramponné. Pas une minute à perdre, mais sans précipitation pour autant.
Nous faisons connaissance avec le bloc
La vue vers le bas depuis le bloc coincé
Il y a un piton sur la droite, à la base du mur de pierre pour poser un relais. Jean-Marie passe en tête pour cette première. A mi-hauteur, il emprunte une vire qui sort à droite du bloc, sur un terrain déjà en herbe. Il pose le relais pour que chacun des trois montions en moulinette. Tour à tour, Yannick, moi puis Joël, passerons dans la faille entre le mur et le bloc. Il y a deux bons pas en opposition, sur terrain mixte, qui passent sans l’aide des piolets. La principale difficulté technique vient d’être effacée, mais le couloir ne fait que commencer.
A mon tour
La suite du couloir vu depuis le relai
Jean-Marie au relai, Joël au bloc
Le couloir fait encore plus de 300 mètres de haut. Il est très esthétique, tourne légèrement, de gauche vers la droite. Au centre, il y a une très large trace de neige damée. La neige est bonne, elle porte, et plus rien de nous tombe sur la tête, mais la vigilance demeure. A l’approche de la sortie, la pente se redresse encore pour donner la fausse illusion que nous sommes arrivés. Par une série de lacets réguliers, on va effacer cette ultime rampe, et déboucher au col Faustin à 11h44, pour un total de 6h28. La vue s’ouvre sur le refuge des Estagnous, la voie normale. Quelle vue ! Nous mangeons sur place, indispensable et idyllique, en l’absence de vent.
Comme une piste de luge à suivre
La sortie si proche, et pourtant nous mettrons plus de 25 minutes à cet instant
Joël à la sortie du couloir
Le refuge des Estagnous vu depuis le col
Il n’y a pas mieux que le ventre plein, et le sac léger pour repartir vers un sommet. Nous laissons donc les sacs au col, et à 12h32, nous grimpons la dernière bosse qui conduit sur la cime. Formalité, puisque à 12h58, les croix sommitales du Mont Valier sont enfin dans nos bras. 6h54 pour atteindre cette cime prestigieuse. Quelle vue, mais quelle vue ! Immense ! Je ne reconnais pas un sommet sur 10 tant ils sont nombreux vers l’Ouest et le Sud. Quelques morceaux choisis.
Yannick arrivant au sommet
Vallon avec les étangs de Milouga et d'Arauech
Tuc des Héches au premier plan, Maubermé au fond
Mont Rouch
Pic de Moredo ou Roca Blanca
Tant d’efforts consentis pour ne rester que quelques minutes sur une cime, telle est la réalité des alpinistes. Car un retour long et éprouvant nous attend. De l’avis de tous, nous serions bien restés toute la journée, tellement c’est grisant. Mais à 13h13, on se résout à prendre le chemin du retour. Passage au col Faustin pour récupérer les sacs, puis on grimpe sur un mur qui nous hisse sur le Petit Valier. Attention aux corniches monumentales ! Nous ne faisons que passer pour se rendre au col de Peyre Blanc.
Col Faustin et le mur du Petit Valier
Dans le mur
Admirez les corniches hors-normes
Le Mont Valier vu depuis le Petit Valier
14h13, on se présente au col de Peyre Blanc pour ce qui va être un moment de brassage dantesque. Le départ du col demande une désescalade glacière pour s’engager dans un large couloir. Puis la suite se fera face à la pente. Il faut descendre le large vallon plein Est en restant le plus possible sur sa droite, et en évitant de se laisser aspirer par le talweg de gauche. Des traces de skis fraiches nous ont bien aidés à nous repérer. Mais ce fut terriblement pénible. Un brassage de deux heures avec chaque pas qui disparait jusqu’à mi-cuisse. Des raquettes auraient été utiles, des skis encore mieux. Mais la patience est venue à bout du moment le moins agréable du jour. Par une coulée d’avalanche, nous parvenons directement à l’intersection du sentier de la cabane d’Aula à 16h15. Et voilà 9h30 que l’on arpente le massif.
Descente du col de Peyre Blanc
Durant la descente du couloir de Peyre Blanc
Quelques nuages mais rien de méchant
La vallée d'Estours à descendre
La dernière coulée menant à la cabane d'Aula
Le sentier du retour, nous le connaissons, du moins de nuit. Et c’est une bonne surprise que de découvrir le paysage, de jour. Cela va rendre moins monotone cette ultime partie de la sortie, d’autant que la descente nous parait presque plus longue que la montée. Serait-ce de la lassitude et un peu de fatigue ? Il est exactement 19h02 quand nous terminons ce périple hors-norme. Nous bouclons la journée en 11h46 de réelle marche soutenue, et toujours dans la bonne humeur. Merci les gars, les Catalans ont fait honneur au seigneur du Couserans.
Il est à retenir qu’il est impossible de faire ce couloir à la journée. Alors je vais utiliser les mots de Mark Twain pour illustrer cette journée exceptionnelle : « C’est parce que nous ne savions pas que c’était impossible que nous l’avons fait. » L'utopie d'hier, est devenue réalité du jour.
Face Sud avec le couloir Faustin séparant les deux Valier
Dernier gros plan sur le couloir Faustin
Tracé du jour sur carte IGN 1/25000
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 11h46 pour 26 km à 2,3 km/h
Temps pour faire le couloir : 3h56
Dénivelé positif total : 2234m – Autant en négatif
Point culminant : 2838m
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