Puig dels Tres Vents par le Faig
03/05/2014 : Baraque du Faig – Plans du Canigou – Porteille de Léca (2594m) – antécime du Tres Vents – Tres Vents d’Avall – Cabane de la Devèse – GRP – Baraque du Faig
Préambule à cette course : Il y a un moment que j’ai en tête de réaliser un couloir quasiment inconnu dans le massif du Canigou, le couloir Nord de la Lentilla au Roc Négre. C’est Nicolas qui l’a ouvert et m’a donné toutes les clés pour le gravir. Or, c’est une course très très longue, imposant un bivouac sous la face Nord. Je ne dispose que d’un jour, alors ce sera à la journée que je vais le tenter. Un vent tempétueux est annoncé pour le samedi, donc Nicolas ne sera pas de la partie, mais je serai solidement seconder par Mehdi.
Afin de partir très tôt, je décide de monter dormir au point de départ. Il se situe au bout d’une route qui remonte la haute vallée du Riuferrer. Il faut prendre cette piste à partir du hameau de Léca ; c’est très étroit, une vache et une voiture ne se croisent pas, j’en ferai l’expérience. Du hameau au col d’en Cé, la piste est en très mauvais état, mais du col d’en Cé jusqu’en haut, elle est épouvantablement mauvaise. Il est vivement conseillé de monter en 4x4. Le petit parking terminus est appelé le Faig, c’est là où je vais passer la nuit dans la voiture. Le vent fait déjà rage, c’est terriblement impressionnant pour l’être isolé que je suis. Il est si bruyant que je ne pourrai trouver le sommeil. La pluie va même tomber durant 1 heure, mais le ciel étoilé reviendra vite. Avec cette météorologie déchainée, le doute s’installe en moi : es-ce bien prudent de se lancer dans le secteur le plus isolé du massif dans de telles conditions ? J’ai toujours pensé qu’un vrai montagnard doit être capable de sortir par tous les temps, alors il ne faut pas renoncer avant d’avoir essayé.
C’est à 5h, après une nuit quasiment blanche, que Mehdi me rejoint, motivé comme jamais à l’idée de réaliser une boucle inédite. Nous quittons le parking à 5h15 en suivant la piste à droite, jusqu’au panneau indiquant le sentier du tour du Canigou.
Nous quittons la piste et traversons le torrent en mettant le cap vers le Sud/Ouest. Le but étant de contourner une grosse bute nommée la Comtesse. Comme me fait remarquer avec élégance Mehdi : « la Comtesse, il faut la prendre par derrière ». C’est totalement hors sentier qu’il faut évoluer, entre pins à crochets et massifs de rhododendrons, entrecoupé de nombreux amas de roches granitiques. On progresse donc lentement à travers ce terrain incommode. Pour le moment, bien que très présent, le vent ne nous ralenti pas. C’est au premier ravin nommé la Jasse des Tres Vents, que l’on trouve la première langue de neige. Elle est en béton, le ton est donné pour la suite.
Nous changeons de cap, cette fois vers le Nord/Ouest, en cherchant au mieux à suivre des courbes de niveaux. Cela va nous amener à traverser de nombreux ravins.
Au ravin des Tres Vents, la neige est vitrifiée, c’est extrêmement glissant : premier usage du piolet pour moi, et des crampons pour Mehdi. Dans cet endroit complètement hostile et loin de tout sentier, je me sens en confiance, comme si tous les souvenirs de l’enfance où je suis venu par ici, revenaient à moi pour me guider. C’est un sentiment agréable et sécurisant. Au dernier ravin, celui de la Llosela, nous faisons la première pause de la matinée, à 8h20. Le vent orienté Nord/Ouest, toujours aussi violent, nous oblige à revoir notre plan de route. Comme il est tôt, nous décidons de poursuivre jusqu’à la porteille de Léca, et nous aviserons ensuite.
Nous montons vent de face jusqu’à un premier replat à 2260m où la neige est continue. Elle est totalement dure avec une fine pellicule de poudre tombée dans la nuit. C’est plus facile de marcher sur ce tapis blanc que sur les rochers instables. Pourtant, par deux fois, des rafales vont me jeter au sol comme une brindille.
Mehdi avance loin devant, je ne peux suivre son rythme. Je comprendrai plus tard que le don de plasma effectué le mercredi précédent, sera la cause de mon manque de souffle. C’est un bras de force contre le vent qui s’engage, une lutte inégale de deux bipèdes contre une force de la nature en pleine furie ; jusqu’où ira notre obstination à le braver ? Aura-t-il raison de notre volonté ? Pourquoi tant de violence dans son souffle ? Voilà un échantillon des diverses questions qui traversent mon esprit. Un premier faux col est franchi, pour prendre pied sur un glacier rocheux appelé « Plans de Canigou ». Cette fois la porteille de Léca est en vue et rien ne nous arrêtera.
Au fond, la porteille de Léca (2564m), véritable porte entre le Vallespir et le Conflent
La pente s’est véritablement redressée, si bien qu’il faut les crampons pour monter sereinement.
Nous surprenons un isard isolé, dans cet endroit plutôt inhospitalier. Quelle aisance sans crampons !
Mehdi arrive le premier à la porteille, et je ne tarde pas à le rejoindre. Il est 9h40 ; il nous aura fallu 3h47 pour l’atteindre. Etrangement, ce n’est pas là que le vent est le plus fort, mais je me garderai bien de mettre le bout du nez vers le Conflent.
Mon arrivée à la porteille
Toutes les cimes sont dans le brouillard, et les roches sont givrées. C’est une atmosphère de milieu d’hiver qui règne en ce lieu.
Nous renonçons à notre itinéraire initial, trop ambitieux pour des conditions aussi mauvaises, et choisissons de profiter du temps que nous avons devant nous, pour monter au sommet du Tres Vents, plus proche. Comme nous connaissons tous deux le secteur, nous allons profiter de ces connaissances pour « visiter » les flans de cette montagne.
On reprend le chemin en sens inverse un court instant, pour aller s’engager dans un couloir sur la droite. Nous sommes dans le brouillard complet, mais nous espérons atteindre la crête par cet accès. Le couloir avoisine les 50°, en neige béton.
Mais où allons nous ?
Voilà un bel exercice d’initiation pour Mehdi qui ne se sent pas à l’aise. Moi je retrouve de l’énergie, et un vrai plaisir à grimper. Nous passons un petit étranglement et on arrive dans une impasse. Il n’y a que des dalles lisses autour de nous.
Il faut faire demi-tour en désescalade, autre exercice où Mehdi va me maudire, et pourtant nous n’avons pas le choix (Mehdi tout à gauche).
Vue sur le flan Nord du Tres Vents
Une fois au pied, nous prenons la décision d’aller chercher plus loin, une langue de neige où je pourrai cramponner et où Mehdi pourra me suivre dans les rochers. Ce choix fait l’unanimité, et l’on remonte une nouvelle fois. A 11h10, nous faisons une courte pause à ma demande, pour manger un peu, car la lutte permanente pour ne pas s’envoler, est épuisante.
Puis nous montons droit devant jusqu’à atteindre la crête sommitale.
Nous ne sommes qu’à 10m du point culminant mais impossible de tenir debout. Nous nous contenterons de cet antécime. Second sommet du massif par l’altitude, le Tres Vents a trois faces regardant au Nord le cirque du Cady, à l’Est la haute vallée du Riuferrer, à l’Ouest la haute vallée de la Coumelade. Des rafles incessantes à plus de 110 km/h nous interdisent d’évoluer en crête, nous sommes collés au sol, c’est vraiment effrayant. Il est évident que notre place n’est pas ici. Il faut vite trouver un échappatoire, notre situation n’est pas brillante. Nous quittons les crampons, totalement inutiles sur ce terrain rocheux battu par les vents, et d’un commun accord, nous basculons dans la vallée de la Coumelade. Nous perdons pratiquement 90 mètres pour se mettre à l’abri relatif du vent, tout du moins de ses rafales scélérates. Le terrain est très croulant, pas idéal pour rester sur ses deux pieds, néanmoins, ce sera suffisant pour nous sortir d’affaire et rattraper la crête sur un terrain plus favorable.
Dans notre dos le Puig Rotja
Vers 2600m, on peut enfin dire que le plus dur est derrière nous. Sans céder à la panique, nous avons su déjouer les pièges tendus par un vent violent et déchainé. Maintenant la vue est dégagée depuis le Vallespir jusqu’à la plaine du Roussillon ainsi que la Costa Brava Catalane. A 12h43, nous prenons notre repas, au soleil face à ce paysage familier.
5h49 d’efforts nous auront grandement ouvert l’appétit. On diserte sur le plaisir d’être en montagne, on contemple avec le même plaisir ces cimes si familières, puis on s’accorde sur l’itinéraire du retour et à 13h15 nous reprenons notre marche vers le bas. Plus de 1000 mètres à perdre, mais plutôt que de les dévaler en ligne droite, nous ferons un petit détour. Nous suivons la crête jusqu’au Tres Vents d’Avall, puis on oblique notre marche sur la gauche jusqu’à trouver une cabane de berger, à environ 2000m.
On descend ensuite dans la Devèse de Vallbona jusqu’à trouver un sentier non balisé, qui nous mène à la très belle cabane de la Devèse (6 couchages). Durant ce passage, nous allons voir à nouveau un groupe de 7 isards, qui confirment que quelque soit le versant où l’on se trouve, cette montagne est un paradis pour ces seigneurs des cimes. 14h50, cabane de la Devèse, le contraste est énorme en terme de conditions climatiques, en comparaison à ce que nous avons affronté quelques heures plus tôt. Ici c’est le printemps qui domine, confirmé par la présence de Gentianes de Koch et Gentianes printanières. Il fait même trop chaud pour nos corps aguerris au froid. Nous aurions bien fait la sieste tant l’ambiance si prête. Pourtant, nous nous accordons seulement 10 minutes, car il nous faut déjà repartir. Pour l’unique fois de la journée, nous allons suivre le sentier balisé jaune et rouge du Tour du Canigou. Il plonge dans l’ombre d’une magnifique forêt de hêtres, tous plus beaux les uns que les autres.
Un hêtre caractéristique
Le sentier descend jusqu’à rencontrer un croisement que nous ne suivrons pas, puis remonte ; c’est notre itinéraire. Cette courte remontée n’est pas vraiment dure, mais n’est plus la bienvenue, mes muscles sont rassasiés de grimpette. Le sentier nous conduit au bord du torrent du Riuferrer que l’on enjambe à l’aide d’une solide passerelle en acier. Il est 16h lorsque nous terminons cette boucle, qui nous aura demandé 8h10 de marche effective.
Il n’y a aucune difficulté majeure, si ce n’est qu’il faut être habitué au hors sentier de haute montagne. A conseiller aux montagnards aux pieds durs et aimants la solitude. Si le Canigou attire tous les randonneurs et autres touristes de la montagne, le Tres Vent est réservé aux vrais, et pour cause, pas de sentier ni de refuge gardé. La montagne est ici encore à l’état brut.
Tracé du jour sur carte IGN 1/25000
Les chiffres de la journée:
Temps de marche total 8h10 pour 17,4 Km à 2,7 km/h
Dénivelé positif total : 1823 m – Autant en négatif
Point culminant : 2721m.
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