Crête des pics de Canalbonne jusqu’à la Pique d’Estats et Montcalm
09/07/2022 : Orris du Carla – étangs de la Gardelle – Pic Sud de Canalbonne (2849m) – Pic Oriental de Canalbonne (2914m) – port de Rioufret (2797m) – Pic de Canalbonne (2960m) – Rodó de Canalbonne (3004m) – Pointe Gabarró (3115m) – Pique d’Estats (3143m) – Pic de Verdaguer (3131m) – Pic de Riufret (3044m) – Pic du Montcalm (3077m) – Etang de Riufret – Orris du Carla
La crête frontière séparant le Vicdessos Ariégeois du Vallferrera Catalan, est une muraille déchiquetée, hérissée de sommets dépassant tous les 2800 mètres, atteignant son apogée à plus de 3100 mètres, sur le point culminant des deux nations, j’ai nommé la Pique d’Estats. J’ai parcouru l’ensemble de ces sommets par fractionnement, mais jamais la si longue crête dans son intégralité. C’est le cadeau que je veux m’offrir aujourd’hui : pas moins de 6 sommets dépassant 2900 mètres. Point de départ classique aux orris du Carla, je me mets en action à 04h25, direction les étangs de la Gardelle. Cette partie ne présente aucun intérêt jusqu’à l’étang principal de la Gardelle, alors autant monter dans l’obscurité et dans la fraicheur du petit matin. Il fait une nuit totalement noire, et le ciel est constellé d’étoiles comme nous avons perdu d’habitude de voir. Mais comme l’a écrit Victor Hugo « Même la nuit la plus sombre prendra fin et le soleil se lèvera. ». En effet, dés 5h10, les étoiles s’éteignent une à une, et déjà l’horizon à l’est s’embrase de couleurs fauves.
C'est de dos par l'Est que viendra la lumière
Pointe Michel Sébastien à droite
A 2250 mètres, avant que le sentier ne vire vers le Sud, je n’ai plus besoin de la frontale. Nouvelle forte rampe qui débouche sur l’un des 4 étangs de la Gardelle. Pour moi il est 6h11 et j’ai mis 1h45. A cet instant, cap plein Est en suivant le lit du cours d’eau, pour se rendre à l’étang de Canalbonne. Les cimes environnantes s’enflamment d’un orange vif, un festival de couleurs attire le regard vers le haut. Le sentier passe exactement dans le cours d’eau. Je fais une pause à l’étang pour faire le plein d’eau, avant de poursuivre l’ascension.
Tourner vers le Sud
Etang de la Gardelle avec la pointe 2486m
Le sentier bien marqué en direction de l'étang de Canalbonne
Le torrent issu de l'émissaire de l'étang
Depuis l'étang de Canalbonne, un cylindre sans nom prend toute la lumière
Contourner l’étang par sa rive droite (à main gauche donc !), puis s’élever N/W et enfin N/E pour chercher un faux col. Au col en forme de replat, je rencontre le soleil, pour ne plus le quitter de la journée. Tout mon décor est inondé d’une intense lumière ; la journée s’annonce rayonnante. Depuis ce col, suivre alors les cairns qui conduisent à la crête frontière, et je débouche sans difficulté au pic Sud de Canalbonne à 7h31, pour 2h59 d’ascension. C’est le moins technique de tous les sommets qui vont suivre. Il est temps de petit-déjeuner, mais aussi de s’imprégner du décor environnant. J’observe attentivement la crête qui se dresse jusqu’à la Pique d’Estats. Suis-je capable d’aller au bout ? Après une ascension difficile en hiver, la Pique d’Estats m’a lancé un défi. Mais c’est aussi seulement 4 semaines après avoir eu une santé exsangue en Bolivie, me laissant sans force ni souffle, une ombre vacillante. Ai-je récupéré ? Il n’y a qu’une façon de savoir, c’est de poursuivre, alors dès 8 heures j’enchaine.
Etang de Canalbonne
Les étangs de la Gardelle comme suspendus
Un bout de ce qui m'attend
Vue vers le Sud
Vue vers l'ouest
Gros plan sur le Massif d'Aneto
Gros plan sur le massif du Luchonnais
Gros plan sur la Punta Alta en Catalogne
Après quelques dizaines de mètres, la crête s’abaisse fortement pour descendre dans une brèche. Par un système de dalles, on se joue aisément de ce premier obstacle. Il faut bien repérer une cheminée en face de soi, qu’il va falloir aussitôt emprunter, pour éviter sur la crête, un dièdre impraticable sans corde. Depuis la brèche, perdre encore quelques mètres sous la crête pour entrer dans la cheminée. On trouve quelques pas de II à la base de la cheminée. La prise de hauteur dans la cheminée est finalement rapide. Cela sort sur un rognon qui permet en suivant de revenir sur le fil de la crête frontière. Le fil va descendre une nouvelle fois puis remonter à nouveau un peu, mais sans complexité. Le Pic Oriental de Canalbonne est atteint à 8h48, en 3h47. Ce haut sommet est composé de 3 cimes que l’on va considérer d’égale altitude. J’enchaine sans plus attendre.
Vallon d'Areste et plein centre au fond le pic de Monteixo
La cheminée à emprunter
La partie descendue vue depuis la cheminée
La crête finale menant au Pic Oriental de Canalbonne
A quelques pas du sommet
Vue vers le Nord
Les "3000" qui m'attendent
Vue vers le Sud
La partie la plus technique s’annonce à présent, autant en désescalade qu’en escalade. La marche sur un fil est vertigineusement belle. Les meilleurs passages se trouvent en versant ouest, c’est à dire côté espagnol. Ce n’est jamais que du II sup mais l’engagement est réel. Je me pose au port de Riufret 2797m à 9h17. La carte catalane le nomme « Port de Canalbona », appelation plus logique puisque ce passage est encadré par le pic Oriental et le grand Canalbonne 2960m. Un regard furtif sur la suite en escalade, un autre sur le beau vallon d’Areste à gauche, et je poursuis ma marche en équilibre, tel un funambule.
Là il y a un sujet !
La même chose une fois descendu, impressionnante verticale
Versant Sud du pic de Canalbonne
Nouveau regard arrière d'où je viens
Le dernier bout de crête entre le port de Riufret et le pic de Canalbonne
Entre ce col et le sommet suivant, il n’y a que 160 mètres de dénivelé à prendre, mais il y a de nombreuses brèches qui vont demander quelques exercices de montées et descentes. La partie escalade est impressionnante, mais il faut résister à l’envie de quitter le fil de l’arête, car les meilleurs passages sont toujours sur le fil. Il n’y a plus qu’à se lancer ! La première partie de cette portion passe sans difficulté, jusqu’à descendre dans une nouvelle brèche. Le sommet se rapproche, je suis confiant, malgré la mauvaise qualité du rocher. Lors de la grimpette finale, je saisis de la main gauche une belle écaille, une de ces prises si confortables que l’on peut se tracter en confort. Or, au moment où je fais le transfert de poids et que je décolle les pieds du sol, l’écaille reste dans la main, mon corps vacille en arrière ! Je me sens alors partir dans le vide du vallon d’Areste. Dans le mouvement, mon épaule droite touche un gendarme et me remet aussitôt sur pied le nez dans l’arête. Ouf ! ce n’était pas mon jour. Je pense à une citation d’Edgar Morin : « L'imprévu peut arriver, en bien ou en mal. Et moi, je compte donc sur l'improbable. L'Histoire n'est jamais écrite d'avance. » L’improbable rocher qui me garde encore dans le monde des vivants. Il me vient à l’esprit cette célèbre phrase du grand Reinhold Messner : « La montagne n’est ni juste, ni injuste. Elle est dangereuse. ». Prudence donc. Quelques pas en II encore et la partie sommitale se termine par de la randonnée. Cime du pic de Canalbonne culminant à 2960 mètres atteinte à 9h49, pour 4h43. Je profite du tour d’horizon et de cet instant de calme pour m’alimenter une nouvelle fois.
La crête d'où je viens
Vue vers le Sud
Vue vers le Nord
Vue vers le Sud/Ouest
Vue vers l'Ouest
Gros plan
Super gros plan sur le pic de Néouvielle
Super gros plan sur le massif des Besiberris
Gros plan vers l'Est
Super gros plan vers l'Est
D’où je me situe, je peux voir des catalans, telles des chenilles processionnaires, s’acheminant sur la suite de l’itinéraire en direction de la Pique d’Estats où ils s’agglutinent. Ma solitude prendra bientôt fin. La crête s’abaisse à nouveau, et malgré quelques passages malcommodes, pas de difficulté. Je file au bord de l’étang de la Conca Gelada (appelé aussi estanyol Occidental de Canalbona) pour m’approvisionner en eau une nouvelle fois. Une telle réserve d’eau à 2885 mètres, cela ne se refuse pas. Puis je repars pour une ascension continue jusqu’au point culminant de la Catalogne. Le sommet suivant dépasse à présent les 3000 mètres. C’est le Rodó de Canalbonne et ses 3004 mètres que je foule à 10h58, après 5h29 de marche effective.
La "tartera" de l'étang de la Conca Gelada
Montée vers le Rodó de Canalbonne vue depuis l'étang de la Conca Gelada
Etang de la Conca Gelada et Pic de Canalbonne
Etang de Canalbonne (de Riufret)
Regard depuis le Rodó de Canalbonne vers la Punta Gabarró
De ce point, on peut passer sous le fil de la crête en versant Ouest par le sentier des catalans, mais j’ai trouvé cavalier d’éviter le peu de difficulté que présente cette crête jusqu’à la Punta Gabarró. La marche est facile, voire rapide. Nouveau sommet à 11h26, pour un compteur qui s’élève déjà à 5h54. Le temps de souffler un peu, et me voilà parti dans le final plus technique.
Cime de la Punta Gabarró et crête terminale allant à la Pique d'Estats
Vue vers le Sud sur l'Estany d'Estats (en haut) et l'Estany de Sotllo (en bas)
C’est entre la Pique d’Estats et la Punta Gabarró que l’on rencontre deux très courtes cheminées en III sup sur le fil du rasoir. Je passe la première avec autorité. A voir les traces sur le sol, c’est un accès très fréquenté qui a été purgé de toute pierre instable, chaque prise est donc sûre. La seconde est plus étroite, mais plus haute. C’est plus évident à monter qu’à descendre. Une fois en haut, plus de difficulté pour atteindre le point culminant depuis la Méditerranée. Il est 11h47 avec un total de 6h09 pour accéder au 6ième sommet du jour. Comme je l’avais pressenti, il y a excessivement de monde pour un tel sommet. Je me glisse dans un trou, et je prends mon repas. Je pense à mon précédent passage ici en mars dernier avec les copains qui m’avaient soutenu dans le froid hivernal. Dans la multitude des sommets de l’Ouest, je reconnais encore des cimes majeures que je n’ai toujours pas gravies.
Cheminée en III sup
Cumbre - Pica - Pique (les trois sont permis)
Pic du Port de Sutlló et une forêt de hautes cimes lointaines
Super gros plan vers l'Ouest
Le va et vient bruyant des catalans est incessant, fatiguant, exaspérant. Je quitte donc la Pique à 12h40 pour aller visiter encore quelques proches 3000 faciles, offerts même, après les obstacles d’où je viens. Par contre, je n’irai pas au pic du Port de Sutlló, trop excentré de l’itinéraire du jour. En un rebond, je suis sur le Pic de Verdaguer, un sommet de plus qui permet de voir la Pique dans un profil plus saillant. Puis, je vais couper le sentier pour passer à peine au-dessus de celui-ci, afin de marcher sur la ligne de crête séparant le bassin des étangs de la Coumette d’Estats avec celui du Riufret. On y rencontre une légère éminence haute de 3044 mètres nouvellement nommée Pic de Riufret. Il ne me reste alors qu’à me hisser sur le proche et débonnaire Montcalm. C’est chose faite à 13h21, en 6h51. Ici, ce sont les français les plus nombreux, et discrets.
Pique d'Estats vue depuis le Pic de Verdaguer
Rassemblement de papillons au Verdaguer
Le Montcalm est son sentier gravé dans la roche mère
Pique d'Estats et Pic de Verdaguer vus depuis le Pic de Riufret (3044m)
Montcalm vu depuis le pic de Riufret
Pique d'Estats vue depuis le Montcalm
Auzat en fond de vallée
A présent, plus que de la descente, mais je vais tenter de ne pas revenir sur mes pas jusqu’au col de Riufret, et basculer directement dans la face sud/est du Montcalm. Suivre de façon évidente la crête Est jusqu’à un croisement de crêtes. Plonger alors dans la face avec l’étang de Riufret en point de mire. Cette partie est croulante mais sans danger. Le premier objectif consiste à aller chercher le cours d’eau qui s’échappe des étangs sans noms à 2669m, pas de difficulté majeure. Le second est de suivre ce cours d’eau pas encore impétueux. On peut donc marcher dans l’eau, mais pour éviter de glisser sur une roche trop lisse, je conseille d’éviter l’eau tantôt rive droite, tantôt rive gauche. L’obstacle majeur difficile à anticiper est une falaise avec cascade à la côte 2578 mètres. Partir alors à l’est le long de la falaise jusqu’à trouver une vire herbeuse qui permet de perdre pas après pas du dénivelé, et trouver un terrain facile en herbe.
Il faut plonger dans ce vallon avec l'étang de Riufret en point de mire
Je me suis faufilé dans cette face
Tout en gardant l’étang de Riufret comme point de mire, on finit par rattraper à 2400 mètres, le sentier qui parcourt le vallon du Riufret. Il reste encore 800 mètres de dénivelé à perdre. Ce final est épouvantable pour les chevilles et les quadriceps. Mais en ce jour le terrain est sec, les bâtons encore robustes, ce n’est donc plus qu’une question de patience. Il fait une chaleur écrasante, une canicule d’altitude. Cela fait oublier combien il est pénible de marcher dans un terrain aussi raide. Enfin parvenu au pied du vallon, la marche redevient plus confortable. Suivre alors le sentier jusqu’aux orris du Carla. Fin de la boucle à 16h39 après un total de 9h53. J’arrive avec une réserve d’énergie qui m’aurait permis de marcher encore. J’ai surmonté les difficultés techniques, je ne suis pas mâché par la fatigue, la journée est une réussite et j’en suis heureux. Avec 9 sommets sur le parcours, cette boucle en donne pour son comptant d’énergie. Je ne pense pas refaire cet itinéraire exigeant, trop de paramètres en dépendent ; il vaut mieux rester sur cette belle impression du jour.
Etang de Soulcem 600m plus bas
Trace du jour :
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 9h53 pour 19,2 km à 1,9 km/h
Dénivelé positif total : 2095 m – Autant en négatif
Point culminant : 3143m
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