Pique d’Estats en hivernale à la journée par le couloir à Gégé (PD sup)
19/02/2023 : parking de l’Artigue – Bois de Fontanal – Orris de Pla Nouzère – Etang Sourd – Refuge du Pinet – Etang d’Estats – Couloir à Gégé (PD sup) – Pique d’Estats (3143m) – retour par le même itinéraire
Le massif de la Pique d’Estats en hiver et à la journée, est un immense défi à l’endurance. J’avais gouté à cela en 2014, mais j’étais alors accompagné par 3 solides camarades. J’étais revenu de cette journée dantesque si éreinté que je m’étais fait la promesse de ne plus recommencer une telle folie. Mais voilà, le temps a effacé la trace de la fatigue, il a estompé les souvenirs des efforts qu’il a fallu déployer. Neuf ans plus tard, pratiquement jour pour jour, je me présente à nouveau au pied des 2000 mètres qu’il faut gravir en versant Nord pour atteindre le toit de l’Ariège, le point culminant de la Catalogne même ; cette fois-ci je tente l’aventure seul. C’est une journée qui se déroulera en 3 actes.
Départ à 4h11 pour l’acte I. On me méprise souvent pour mes départs nocturnes, mais pour moi, il s’agit du prix de la sécurité, l’unique moyen d’avoir du temps devant soi au cas où un problème quelconque surviendrait. En avant pour une ascension à la frontale. On trouve encore de la neige dès le départ à l’Artigue, mais pas de bonne qualité pour chausser raquettes ou skis. On peut raisonnablement chausser au niveau de la passerelle à 1203m. La portion de marche dans les bois de Fontanal ne présente aucun intérêt, et elle me semble même moins monotone en nocturne. Sorti des bois à 5h11 en 1h11 en arrivant aux orris de Pla Nouzère. Je sais par expérience qu’il est plus sécurisant de passer par le sentier de l’étang Sourd depuis les orris, que de suivre la voie normale. Du monde est passé devant certainement la veille, c’est donc parfaitement tracé. Mais la neige est de qualité inconstante et malgré les raquettes, il faut s’employer pour s’extraire des trous en prenant de la hauteur. C’est la partie la plus physique de ce début d’approche. Passage rapide à l’étang Sourd qui sommeille sous la glace, après 1h51, et poursuite de l’ascension. Le sentier qui conduit au refuge est parfois dépourvu de neige, le sol est à nu. Puis, plus haut, la neige est suffisamment assez dure pour effectuer sans grande difficulté la traversée que demande l’itinéraire. Fin de l’acte I au refuge du Pinet à 6h55, pour un total de 2h44. Je viens de gravir 1000 mètres, certainement les plus faciles. Pause au refuge pour le petit-déjeuner. Le bâtiment a accueilli du monde dans la soirée, notamment de nombreux skieurs.
Le jour se lève sur le massif de Tabe
Versant Sud du massif de Bassies
Je remplace les raquettes par les crampons, et je débute à 7h27 l’acte II. Le passage de la bute qui domine le refuge m’a toujours posé des problèmes, mais cette fois, je négocie cela sans le moindre effort. C’est de très bon augure pour la suite. La traversée en dévers sous la Pointe d’Escasse se passe sans le moindre incident car les traces sont de bonne qualité. La lumière est maintenant là pour profiter du paysage. Je me présente à l’étang d’Estats avec la ferme intention de gravir le couloir à Gégé. Il y a 10 ans que je songe à ce dernier et trouver la fenêtre météo acceptable est très rare. C’est décidé, ce sera aujourd’hui ou jamais. Plus aucune trace et une neige sans consistance, mais heureusement de profondeur variable. Je m’enfonce à chaque pas, mais parfois au dessus de la cheville, parfois jusqu’aux genoux. C’est éreintant, mais j’encaisse. Je me présente au pied du couloir à 8h29, avec une approche de 3h46. J’empoigne les piolets, je visse le casque sur la tête, et j’enchaine sans perdre de temps.
Refuge du Pinet au petit jour
Droit devant se profile le couloir à Gégé
Gros plan sur le couloir à Gégé
La lumière change vite dans mon dos
Gros plan sur la très esthétique Pointe de Parec
Le couloir domine l'étang d'Estats invisible sous la neige
Le couloir dans son intégralité
Vu durant l’approche, le couloir semblait très vertical, mais en réalité il ne dépasse jamais les 45° de pente, mais cela reste soutenu. L’inclinaison est constante. L’autre constante est la qualité toujours médiocre de la neige. Une croute de hauteur variable recouvre la neige superficielle, mais quand ça casse, c’est de la neige inqualifiable : ni semoule, ni poudreuse, et pas de sous-couche. De vieilles traces de pas indiquent que le couloir a déjà était parcouru cet hiver, mais ces traces ne me sont d’aucune aide. Je dois le tracer à nouveau. C’est une épreuve de force, un défi à la gravité. Mais la forme est là, la défaillance que je redoute et qui m’a souvent frappé dans ce massif est encore loin. Les conditions de portance ne permettent pas de monter avec un rythme régulier, mais je m’en accommode. Le couloir est très esthétique, étroit à souhait, enveloppant mais pas étouffant, légèrement incurvé sur la gauche, alors je ne vais pas me plaindre quand on a la chance d’avoir des conditions météo et de santé pour venir dans un tel environnement. Ce n’est plus qu’une question de patience, monter, toujours monter, et ne jamais oublier de profiter.
Regard en arrière depuis l'entrée du couloir
La partie gravie depuis le cône de déjection
Droit vers le gros glaçon à gauche
Le passage proche du gros glaçon
Regard arrière juste après le gros glaçon
Le couloir se divise en deux branches dans la partie supérieure. Je reste dans l’axe principal du couloir et je laisse la variante sur ma gauche. Juste après le carrefour, on trouve un amas de roches qui impose de passer en mixte. Les piolets trouvent de très bons ancrages, et ce court passage est une formalité dont je me régale. La pente faiblit juste après le mixte et la sortie est toute proche, enfin, presque ! Le couloir sort à 2826 mètres, exactement «in the middle of nowhere». Il est à cet instant 10h07 [5h16]. Il y a un second couloir qui donne accès directement à la cime du pic de Verdaguer, en face plus au Sud, mais j’ai laissé trop d’énergie à brasser seul pour me lancer dans un nouveau chantier.
Carrefour des deux branches
La pente est moins inclinée mais il reste encore "du chemin"
La partie haute du couloir vue depuis la sortie
Pic de Verdaguer à gauche et Pic du Port de Sutlló à droite
Il reste un bout d’arête sur la gauche à remonter, qui a été soufflée par le vent. Le point culminant est la côte 2936 mètres. Je suis surpris que cette pointe totalement identifiée et isolée n’ait jamais été baptisée autrement que par sa côte. Quelle injustice ! Je sais maintenant que les 200 derniers mètres de dénivelé qui me séparent du point culminant local ne seront qu’une formalité. Je vais chercher les traces de la voie normale et j’avance vers le ciel. Je retrouve des skieurs rencontrés au refuge. Arrive du sommet un groupe de jeunes dynamiques encadrés par Alain ; c’est la première fois que nous nous rencontrons. Rencontre sympathique où nous échangeons nos impressions sur la qualité de neige et le temps qu’il faut pour s’offrir le sommet. A bientôt et bon retour ! Je poursuis alors d’une traite jusqu’à parvenir à 11h21 sur les 3143 mètres de la Piques d’Estats. Il m’aura fallu 6h15 depuis le fond de la vallée. Fin de l’acte II. Je crois que s’il y avait eu encore 100 mètres de plus, cela ne m’aurait pas arrêté aujourd’hui. Je touche le bonheur absolu d’être en bonne santé dans un environnement unique. Je connais ce panorama, mais je découvre encore de nouveaux sommets à l’horizon.
Par delà la crête Sud du Guins de l'Ase l'horizon s'ouvre à l'Ouest
Rampe finale menant au Pic de Verdaguer
Pause repas sur place. Il n’est pas si fréquent de prendre un repas à plus de 3100 mètres dans les Pyrénées. Et fait encore plus rare, il n’y aura pas le moindre espagnol sur ce sommet qui, en saison estival, ne compte pratiquement que des ibères. La Pique d’Estats, c’est un peu mon pèlerinage annuel depuis que je l’ai découverte en 2011, en cherchant un accès toujours différent, et je ne me lasse jamais. Cette fois-ce, ce fut la version la plus alpine. Pour paraphraser le baron Pierre de Coubertin, « L’alpiniste va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre. » Un tour d’horizon pour immortaliser une fois encore des cimes caractéristiques, que je connais ou qui restent à découvrir. Je n’irais pas au Montcalm aujourd’hui, car l’absence de neige en crête demanderait de déchausser les crampons, puis les chausser à nouveau pour la descente. Ce sera la Pique d’Estats uniquement.
Quelques gros plan vers le Sud/Est
La Punta Gabarró au premier plan
Pic du Canigou dernier sommet visible à l'Est
Gros plan sur des connaissances vers Orlu
Point culminant d'Andorre et Sierra de Cadi au dernier plan
Vue vers l'Ouest sur une forêt de sommets
Quelques gros plans sur les sommets carastéristiques
Vue vers le Sud sur les estanys d'Estats et Sotllo
Gros plan sur le pyramidal Monteixó
Vue vers le Nord et le proche Montcalm
Gros plan sur deux emblématiques cimes du Couserans
Pic du Midi de Bigorre au Nord/Ouest
Pic de Néouvielle le plus éloigné à l'Ouest
Début de l’acte III à 12h30 pour le retour. Rien d’original à présent, il n’y a plus qu’à suivre les nombreuses traces, si possible sans se blesser. La neige est de plus en plus molle, mais la marche en crampons reste encore acceptable. Le retour est monotone, mais je profite quand même pleinement de la lumière incroyablement rayonnante et d’une météo sans un souffle d’air. Il fait même trop chaud à plus de 2700 mètres au soleil. Les passages à l’ombre supportent quand même une veste. Passage rapide au refuge à 14h23, pour 7h50.
Descente vers l'étang du Montcalm
Nouveau regard sur le couloir à Gégé
Massif de Bassies comme suspendu
Même itinéraire à la descente qu’à la montée avec le passage par l’étang Sourd. Avant l’étang, l’usage des crampons devient impossible tant la neige est molle, et les raquettes redeviennent indispensables. Je vais garder les raquettes aux pieds durant toute la descente, et comme à l’aller, je ne les quitterai qu’à la passerelle. Fin de cette journée dantesque à 16h16, pour finalement « seulement » 9h27 d’efforts. Les skieurs peuvent réduire considérablement ce temps à la descente. Ce temps est quand même relatif à la qualité de neige et la forme du marcheur. Je reviens plus riche d’une nouvelle aventure et d’un nouveau couloir. La Pique qui m’avait mis à genoux en mars 2022 m’a accueilli cette fois avec bienveillance. Gravir 2000 mètres de dénivelé en hiver et sur un massif de plus de 3000 mètres d’altitude est un privilège rare. Je réalise combien cette journée comptera, elle appartient peut-être déjà à mon passé.
La Pointe de Belcaire est magnifique - On notera que c'est un enneigement de mois de Mai
Trace du jour :
Couloir à Gégé en 3D :
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 9h27 pour 18,1 km à 1,9 km/h
Longueur du couloir : 220m
Temps pour gravir le couloir : 1h30
Temps pour atteindre le sommet : 6h15
Dénivelé positif total : 2005 m – Autant en négatif
Point culminant : 3143m
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