Tour du pic de la Soucarrane par les ports de Roumazet et Bouet en hivernale
17/10/2020 – Jour 1 : Orris du Carla – Etang de Roumazet – Port de Roumazet (2571m) – Barranc del port Vell – Refuge de Vall Ferrera
Avec l’arrivée brutale de l’hiver sur les sommets, et un épisode neigeux récent, l’envie de sortir voir nos montagnes était grande. Enfin une fenêtre météo favorable sur un week-end complet permet de s’aventurer dans les hautes. L’idée première est d’aller découvrir le sommet du Monteixó en Catalogne, en partant de Soulcem en Vicdessos. Trois fidèles compagnons du Vallespir, Yannick, Karine et Joël, vont se joindre à moi pour ce week-end qui, sans le savoir, va marquer nos mémoires. La question était de savoir quel équipement emporter pour faire face à de la neige fraiche. Lorsque nous découvrons le site des orris du Carla, l’enneigement local est si faible, quasi inexistant, que d’un commun accord nous convenons de laisser les raquettes dans la voiture. Départ à 10h53 sous un ciel bleu très pur. Nous suivons la piste jusqu’à la passerelle de la cascade de Labinas, puis le sentier en direction de l’étang de Roumazet.
Vue sur pic de la Madelon depuis le départ
Cela donne une certaine idée du froid ambiant
La plancher du ruisseau de Soulcem avec au fond la face nord du pic de Médécourbe
Trop peu de neige à 1800 mètres pour se méfier de ce que l'on va trouver
Aucune difficulté particulière sur le sentier qui s’élève en versant Est, si ce n’est de la glace sur les rochers, qui fond doucement et vient se briser sur le sentier. La prise de dénivelé se fait ainsi sur un rythme convenable pour la saison. Mais sitôt franchie l’altitude des 2000 mètres, les conditions d’enneigement deviennent bien plus compliquées. De la neige abondante recouvre le paysage. De très gros efforts seront nécessaires pour se rendre jusqu’au bord de l’étang de Roumazet. C’est à cet instant que l’on réalise que les raquettes vont nous faire défaut cruellement. C’est à 13h15 que l’on se pose au bord de l’étang de Roumazet pour y prendre le repas. Nous avons mis 2h13 ; j’avais mis seul fin juin 1h15. Il faut oublier dès lors toute référence horaire.
Dans la montée proche de l'orri de Roumazet
Pic de la Soucarrane plein Ouest
C’est à 14h05 que l’on enchaine la seconde partie de l’ascension du col. Il y a exactement 413 mètres à gravir pour passer la frontière. Dès les premiers pas, les problèmes reprennent. Nous nous enfonçons jusqu’au genou, c’est-à-dire de 60 centimètres dans une poudre sans consistance. Et ce n’est que le début. Chaque pas demande un effort considérable pour s’extraire. Le prise de dénivelé dans ces conditions paraît impossible. Joël est sur-motivé, il trace une tranchée dans la poudre. Nous faisons des relais pour s’économiser au mieux. Ce qui ne manque pas, c’est de la volonté et de la bonne humeur.
A deux pas de l'étang de Roumazet
Vue vers l'Est sur l'étang de Roumazet
La même chose en été
Lorsque le sentier entre dans le chaos rocheux qui caractérise le versant Est du port de Roumazet, il reste encore 250 mètres de dénivelé. La difficulté augmente encore d’un cran. Cette fois, en plus des 1,20 mètres de neige par endroit, il y a tous les trous entre les blocs de roche qui piègent un pas maladroit. C’est un champ de trous invisibles. Bienvenue dans l’enfer blanc. A maintes reprises, et à tour de rôle, une jambe plonge jusqu’à la taille sans toucher le fond du trou. Il faut déployer une énergie folle pour s’extraire, mais deux pas plus loin c’est le même cinéma. Même une trace commune ne suffit pas à apporter un peu de répit. Par dépit, chacun ira chercher au mieux un meilleur passage qui n’existe pourtant pas. Il est parfois nécessaire de monter à 4 pattes pour mieux répartir le poids. Yannick trouvera un bout de pente dépourvue de neige sur le gispet bien glissant, mais au moins il n’y a pas les trous scélérats. Pourtant, malgré ces conditions dantesques demandant une volonté inébranlable, aucun de nous n’aura l’idée de faire demi-tour. Mieux que ça, cela galvanise Joël, et fait rire Karine. Nous avons chuté plus de 50 fois chacun, et jamais le doute ne s’est immiscé dans nos esprits. Les conditions météo sont parfaites, le vent est nul, ce n’est qu’une question de patience et nous en viendrons à bout. Le col est franchi à 17h30 pour 4h46 d’efforts intenses, inhumains.
Progression difficile dans ce dédale de roche
Yannick luttant pour sortir de l'enfer blanc ! 1,20 mètres de jambe gauche dans le vide.
Sommet du col si proche, nous mettrons 25 minutes pour parcourir 150 mètres linéaire
Port de Roumazet versant français
Port de Roumazet versant espagnol
Nous voudrions profiter de la vue, d’une pause, mais une descente tout aussi physique nous attend. Nous enchainons la marche en Espagne. Par chance, ce versant n’est pas recouvert de blocs mais de pelouse, si bien que l’on s’enfonce jusqu’à mi-cuisse, mais on touche le fond pour prendre appui ; cette nuance fait une différence considérable. Pas après pas, les minutes passent et le dénivelé décroit. L’enneigement reste toujours conséquent, et il faut arriver à la passerelle qui enjambe le barranc d’Areste pour ne plus trouver de neige. En versant Sud, la neige est totalement absente. La nuit nous gagne, les frontales entrent en action. Nous parvenons au refuge de Vall Ferrera à 19h53. Cela clôture une journée de 7h32 de marche, et quelle marche ! La bonne surprise du jour vient du refuge qui est vide d’occupant, mais confortablement équipé. Pas de cheminée ni poêle pour se chauffer, mais le petit abri est parfaitement isolé. 8 bons matelas sont à disposition, une table et 4 chaises. Nous n’avons pas besoin de plus pour passer une soirée agréable.
Gros plan sur le pyramidal Monteixó
En descendant du port de Roumazet
Versant Sud/Est du pic d'Areste
Le même vallon fin juin
12 places et 8 matelas
L'espace de vie est limité, mais suffisant
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 7h32 pour 11,2 km à 1,5 km/h
Dénivelé positif total : 910m – Dénivelé négatif total : 671 m
Point culminant : 2571m
18/10/2020 – Jour 2 : Refuge de Vall Ferrera – Port de Bouet (2509m) – Etang de la Soucarrane – Orris du Carla
Lever à 7 heures, c’est une grasse matinée que l’on s’est offert. Avec la journée dantesque de la veille, nous abandonnons l’idée d’aller s’épuiser sur les flancs du pic de Monteixó. Le retour se fera directement par le port de Bouet. Nous quittons le refuge à 8h30 après avoir fait le plein d’eau au torrent. Le sentier à suivre est parfaitement indiqué.
Où nous allons l'enneigement est moindre
Le sentier passe un court moment en forêt pratiquement en courbe de niveau, puis débouche sur une belle prairie, où l’on y trouve la cabane de Bouet. Il s’agit d’une bergerie, donc aucun confort pour y passer la nuit ; il y a encore quelques chevaux qui broutent autour de longs murets de pierres, qui servent à distribuer le sel au bétail durant la saison estivale. La prise de dénivelé commence ici.
Pla de Boet
Gros plan sur le sommet des Tres Pics
Notre direction est parfaitement balisée
Puis le sentier s’élève doucement dans un vallon orienté Ouest, mais nous marchons sur la rive Sud, c’est-à-dire l’adret. Cette nuance fait une grande différence sur la présence ou non de neige, et dans notre cas, nous ne trouverons de la neige de façon sérieuse qu’à partir de 2250 mètres. L’ubac est blanc dès 2000 mètres. Ainsi, la première partie de l’ascension se déroulera le mieux du monde.
Pic des Lavans
Vue au Sud/Ouest, G pic de Gerri à D pic de Norís
La suite est une répétition de ce que nous avons vécu 12 heures plus tôt. A partir de 2250 mètres, il faut lutter pour s’extraire de la neige. Mais le sac à dos est plus léger, la pente est plus douce, et la volonté intacte. Le groupe avance d’un bon pas malgré les nombreuses chutes dans des trous, malgré la neige molle. Courte pause contemplative à l’étang du port de Bouet, puis final du col à 11h44, pour 2h51. Pas si mal comme temps dans de telles conditions. Ce sera sur place que nous nous restaurerons.
La neige ne porte plus mais le col est à vue
Estany del port de Boet sous la glace à 2500 mètres
Vue vers le Sud/Ouest sur l'étang depuis le col
Une heure de pause complète et à 12h42 nous basculons en France. La descente est à peine mieux que la montée, si ce n’est qu’il n’y a aucun effort cardiaque, mais il faut toujours autant brasser. Le sentier passe à la cabane de la Soucarrane, où l’on regrettera qu’elle soit fermée à clé. L’arrivée au-dessus de l’étang de la Soucarrane permet d’apprécier le miroir des eaux calmes de cette grande nappe sombre. Le temps file, nous allons au plus court.
L'étang de la Soucarrane se profile
La quantité de neige à cet endroit atteint son paroxysme
Au niveau de l’étang, nous trouvons les traces des randonneurs qui sont montés ce jour voir le plan d’eau. Cela va nous soulager un peu, mais déjà la profondeur de poudre est moindre. Il ne reste plus qu’à descendre prudemment, en limitant les glissades inévitables. La marche sur le plancher de la vallée de Soulcem est une délivrance. C’est ainsi qu’à 16h01, nous retrouvons le point de départ. La journée est conclue en 5h41. De l’avis de tous, le lieu est sublime, et demande de nouvelles visites pour en apprécier tous les charmes. Quant à moi, je n’ai plus qu’à patienter encore 10 mois pour envisager une tentative d’ascension du Monteixó.
Tracé de la boucle :
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 5h41 pour 11,6 km à 2 km/h
Dénivelé positif total : 654 m – Dénivelé négatif total : 900 m
Point culminant : 2509m
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