La Carbassa au Puig de Campcardós par le cirque des Engorgs
24/06/2024 : Grau Roig – Portella de Joan Antoni (2669m) – Cabana dels Espavers – vallon de Riu de Calm Colomer – La Carbassa (2737m) – Bony del Manyer Sud (2809m) – Bony del Manyer Nord (2806m) – Roc de Lliça (2791m) – Portalla d’Engorgs (2691m) – Cim de la Costa de Montmajor (2724m) – Puig de Campcardós (2913m) – Portella Blanca de Meranges (2629m) – Pic d’Engorgs (2818m) – Pic de Camp Colomer (2869m) – Portella Blanca d’Andorra (2517m) – Portella de Joan Antoni – Grau Roig
Cette randonnée met à l’honneur ce qui est certainement l’un des 3 sommets de plus de 2900 mètres peut-être le moins fréquenté du département des Pyrénées Orientales, le Puig de Campcardós ou Puig Pedrós pour les Espagnols, qui culmine sur la ligne frontière à 2913m ou 2914m selon les cartes et les nations. Bien que très haut, sa cime en forme de plateau ne donne aucune prestance à ce sommet, le faisant passer presque inaperçu selon d’où on l’observe. Néanmoins, l’accès en versant nord depuis Porta n’en demeure pas moins un cheminement de haute montagne. Je me suis grandement inspiré du parcours de l’excellent site de Clément Tabouelle, en modifiant le point de départ.
J’ai préféré un itinéraire détourné personnalisé que celui du départ classique depuis Porta, ayant l’originalité de démarrer depuis la principauté d’Andorre, d’évoluer en majeure partie en Espagne, pour flirter avec quelques passages en France. Trois nations dans une seule boucle à la journée, c’est assez rare dans les Pyrénées pour ne pas la réaliser.
Départ à 3h50 depuis le parking de la station de ski de Grau Roig. Pour l’anecdote, ayant passé la nuit sur place, la voiture était totalement givrée, température négative au moment où je me mets en marche. Il faut remonter un télésiège jusqu’à son terme, puis poursuivre le long d’une piste aménagée dans de la pierre. Il y a bien un balisage rouge et blanc que je vais perdre plusieurs fois malgré la clarté de la Lune et le puissant faisceau lumineux de la frontale. Après avoir perdu un peu de temps dans de gros blocs, je retrouve le balisage et le sentier pour sortir à 5h05 au premier col, en 1h15. Au passage de la Portella de Joan Antoni c’est un peu plus de 500 mètres de dénivelé positif gravis mais qui ne serviront pas pour la suite de la journée, si ce n’est alourdir les mollets. Ici, le marcheur bascule dans la vallée d’Engaït, qui va devenir plus bas celle de la Llosa en entrant en Espagne, à la confluence du riu de Vallcivera. Ce point de jonction est celui où l’on trouve la cabane dels Esparvers.
Estany d'Engaït vu depuis la Portella de Joan Antoni
Le jour se lève pendant que je perds du dénivelé, et à 5h45 je peux déjà ranger la frontale. Le balisage rouge et blanc semble avoir été actualisé de frais dans cette partie de la vallée, mais cela passe partout dans les pelouses. La montagne se réveille dans son rituel immuable par le tintement des cloches des vaches et chevaux qui font chanter le vallon. On ne se sent jamais vraiment seul. Bien suivre le balisage lorsque celui-ci change de rive, car ce n’est pas pour rien ; la rive gauche devient vite impraticable. Cette portion du vallon est pleine de charme avec son torrent bouillonnant souligné par le jaune des genets en fleurs. Arrivée à la cabane de l’Esparver à 6h20, après 2h30. Cette endroit est une grande prairie et un carrefour à la fois.
Portella de Joan Antoni d'où je viens
Pic de la Portella dels Collels
Cabane de l'Esparvers
Petit oratoire proche de la cabane
Après le franchissement du torrent par une passerelle, on évolue alors sur une route forestière. La foulée se déroule avec aisance et la perte de dénivelé est vertigineuse. Le premier sommet du jour se cache quelque part sur ma gauche sur un itinéraire pas vraiment répertorié comme officiel. Il faut être attentif à trouver un cairn incitant à quitter la piste pour s’élever dans la forêt ; ce point se situe à 1850 mètres environ. Je parviens à cette intersection à 7h07 en 3h17. Après avoir enchainé les kilomètres linéaires, c’est au kilomètre vertical qu’il faut s’atteler, quelques 850 mètres m’attendent. Il faut suivre au plus près le torrent de Calm Colomer que l’on doit remonter jusqu’à venir buter contre une cascade. Il faut alors traverser le torrent, ce qui marque la fin de la marche en forêt pour sortir en milieu ouvert. Il est alors 7h50 et voilà déjà 4 heures que je marche le ventre vide. Pause petit-déjeuner au milieu des vaches. Décidément, elles sont partout.
Gros plan sur le versant Est du Tossa Plana de Lles
Après 20 minutes à me sustenter, je repars dans les pelouses avant de m’engager dans la pente caillouteuse de La Carbassa. C’est raide, pénible, sans grand intérêt, il faut s’élever au mieux vers le sud, puis l’est pour finir par la partie terminale à nouveau au sud. La Carbassa est un sommet massif de forme plutôt ronde qui n’a aucune prestance lui permettant d’être identifiable aisément de loin, mais qui aura demandé son comptant de sueur pour atteindre ses 2737 mètres. Je foule sa cime à 9h12 pour une ascension totale de 5h03. Cette « bouse molle » se défend bien, mais offre un riche panorama auquel je ne m’attendais pas. Pic Carlit, Puigmal, Puig de Campcardós, les trois plus hauts sommets des Pyrénées-Orientales sont dans le panorama, mais pas seulement.
La rude montée
Il faut un sacré coeur pour avaler la pente
Toujours le Roc de Lliça d'où part le riu de Calm Colomer
Il y a à présent deux courges ! (hihihi)
Panorama imprenable sur La Sierra de Cadí
Gros plan sur la Tossa de la Muga et Coma Pedrosa sur la droite
Le vent souffle de façon soutenue et apporte un froid pas vraiment de saison. Je reprends la marche pour retrouver de la chaleur. Cap plein nord en suivant la crête de Calm Colomer, large croupe qui ne présente aucune difficulté. Une fenêtre s’ouvre même vers l’ouest sur le massif d’Aneto, rien que cela. La crête ondule pour s’élever à 2809 mètres jusqu’au Bony del Manyer Sud où je pose un pied à 10h10 [5h50]. Puis enchainement jusqu’au Bony del Manyer Nord à 10h32 [6h01].
Estany de Calm Colomer
Nouvelle vue sur le Roc de Lliça et l'estany de Camp Colomer
Très gros plan sur le lointain Pico de Aneto
Puig de Campcardós vu depuis le Bony del Manyer Sud
Vue vers le nord/ouest
La Carbassa vue depuis le Bony del Manyer Nord
Estany de Calm Colomer et Sierra de Cadí au loin depuis le Bony del Manyer Nord
Il est un sommet qui demande presque un aller/retour pour lui rendre visite, le Roc de Lliça, si proche qu’il serait dommage de ne pas lui rendre une petite visite, d’autant que la crête est docile. C’est chose faite à 10h50 et déjà 6h12 de déambulation. Son intérêt est très relatif, mais son altitude respectable de 2791 mètres lui confère une certaine prestance dans ce décor. Puis aller directement à vue à la portella d’Engorgs, un col que franchit le GR11, car ici nous sommes en territoire espagnol. Les pelouses sont richement fleuries de gentianes printanières d’un bleu étincelant. Au niveau de la portella, un imposant névé persistant en versant Est barre l’accès au cirque des Engorgs. Il faut le contourner pour basculer vers le verdoyant secteur des Engorgs et ses nombreux étangs. Ici c’est le domaine de l’ami Marc et son fidèle Orion, qui ont parcouru la moindre parcelle de pelouse. Un lieu sûr pour découvrir un cirque lacustre en toute tranquillité.
La Carbassa depuis le Roc de Lliça
Portella d'Engorgs et Pic de Calm Colomer tout plat
Plein centre la Portella de Joan Antoni franchie il y a déjà 5h45
Estany de la Portella et Estany del Minyons sur fond de Puig de Campcardos
La descente pour trouver le plancher supérieur du cirque est un peu raide sur un terrain fait d’arénisation du granite, mais la suite se déroule sur des pelouses confortables. Je quitte rapidement le GR11 pour me rendre à vue le plus à l’est possible, en évitant soigneusement de perdre trop de dénivelé. Il est inutile de faire un détour au petit refuge local. Au passage de l’Estany Llarg, des chevaux pâturent avec un profond mépris pour l’intérêt que je leur porte. La scène est assez cocasse ! Au point où je coupe le ruisseau issu de la Portella Blanca de Meranges, j’en profite pour faire un ravitaillement en eau et l’ascension peut reprendre.
Les prochains objectifs
Bony del Manyer Nord et Portella d'Engorgs souligné par son névé vertical
Il s’agit de gravir une cime satellite de l’imposant Campcardós. Le passage par ce point permet de « casser » l’ascension terminale de son illustre grand frère. La pente est raide mais comme pour La Carbassa, aucune difficulté de terrain n’entrave la marche. La cime de la Costa Montmajor est atteinte à 12h27, en 7h37. Encore 200 mètres à avaler et je serai sur le plus haut sommet local. La pente se couche pour les derniers 100 mètres et à 12h58 le Campcardós est franchi. Voilà 8h08 que j’arpente ces montagnes. A cet instant de la journée, j’ai déjà accumulé 2300 mètres de dénivelé positif. L’heure et l’endroit sont donc tout trouvés pour prendre un repas en terrasse panoramique, malgré le vent froid toujours aussi tenace. La table est bonne, les voisins discrets puisque je me trouve seul, c’est un moment hors du temps que je savoure à sa juste valeur.
Depuis la cime de la Costa Montmajor le Campcardós se dresse
Une partie de l'itinéraire effectué en crête
La Carbassa plein centre et Sierra de Cadí au dernier plan
Plein sud la vallée menant au village de Meranges
Le point culminant est enfin là
Au loin le massif d'Estats/Montcalm attire le regard avec ses derniers grands névés
Gros plan sur le massif d'Estats/Montcalm côté vallon de Riufret
A mes pieds la Cime de la Costa de Montmajor
L'un des nombreux ornements qui tapissent la cime
El Canigó et le col Mitja tout à droite
Le Puigmal
Pic d'Auriol à gauche et pic de l'Estagnas à droite
Puig Pedros et Puig de Coma d'Or avec la coume d'en Garcia plein centre
13h45, l’heure est venue de reprendre la marche. Descente directe à la portella blanca de Meranges par un sentier un peu raide, toujours cette arénisation très locale. Il s’agit d’un col frontalier franco-espagnol. A cet instant je suis devant un dilemme pour l’itinéraire du retour. Trop d’options et plus vraiment beaucoup d’énergie pour se lancer dans un nouveau raid. J’écarte l’idée folle de basculer en France dans la vallée de Campcardós pour ensuite remonter à la portella blanca d’Andorra. Je vais donc rester en crêtes, le corps à cheval sur deux nations. La reprise de dénivelé pour gravir le Pic de la Bressola ou d’Engorgs me coûte. La digestion et le dénivelé matinal ne font à cet instant pas bon ménage. Il faut poser parfois les mains pour se hisser sur le 7ième sommet du jour, le plus « technique » de tous. Pourtant à 14h42, j’ai le plaisir de toucher le cairn sommital [9h06].
Portella Blanca de Meranges au petit névé
A la Portalla Blanca de Meranges avec le Roc Colom tel el Cerro Torre Argentin
Cairn sommital du Pic de la Bressola ou d’Engorgs
Pic de Camp Colomer en bout de crête
Quelque part où je dois me rendre
Nouveau regard sur le cirque des Engorgs depuis le sommet éponyme
Nouvelle descente et nouvelle pointe sur la crête que l’on peut soigneusement éviter par une sente qui lisse l’ondulation de la crête. J’utilise cette facilité car le chemin du retour est encore long et il n’y a plus beaucoup de réserve dans le réservoir. Je passe sur le sommet du pic de Camp Colomer à 15h15, en 9h33. Ce sommet culminant à 2869 mètres est l’un des sommets majeurs du département. La cime est totalement plate, immensément plane comme rabotée par on ne sait quel bulldozer céleste. J’ai gravi cette cime durant l’hiver 2020 un mois avant l’arrivée du covid-19 par un couloir en versant nord, mais je ne reconnais rien dans sa version estivale. C’est vraiment dépaysant et inimaginable de penser que l’on peut évoluer en relative sécurité dans ces couloirs déchiquetés où rien ne tient de façon certaine. Mais l’hiver a ses propres règles. La suite de l’itinéraire se poursuit en crête. Ce sera la dernière cime du jour, mais pas la dernière ascension.
Puig de Campcardós vu depuis le Pic de Camp Colomer
En regardant vers les Bony del Manyer
Je me trouve face à la crête nord du Camp Colomer, faisable ou pas ? Sur les conseils toujours justes de Rodolphe, le crapahuteur infatigable qui a parcouru cette crête au mois de mars, je sais que cela doit passer partout. Je me lance. Et immédiatement le mythe tombe car il y a un sentier ; ce n’est ni plus ni moins que de la randonnée en cette saison, nul besoin de poser les mains. C’est une bonne chose pour avancer à un rythme de marcheur bipède. Une fois le pied de la crête rejoint, je mets le cap sur la Portella Blanca d’Andorra en restant le plus possible de niveau. Le terrain fait de pelouses aide grandement au confort de la marche. Je parviens au col des trois frontières à 16h24, après 10h21 et le compteur affiche 30 km dans les jambes. Je peux choisir encore un retour par le col des isards, mais ma décision est vite prise : ce retour sera par le même col matinal.
Une partie de la crête nord du Camp Colomer
Sur la crête c'est raide juste ce qu'il faut
La haute vallée de Campcardos qui descend vers Porta
Portella de Joan Antoni qu'il faut franchir une nouvelle fois
Il y a un très bon sentier et ce ne sont pas les 150 mètres de dénivelé à gravir à nouveau qui vont me mettre à genou à présent. Cela me donne l’occasion de voir en plein jour ce que j’ai parcouru en nocturne. Et je dois dire que le paysage est plaisant. Le terrain est si agréable que je franchis pour la seconde fois la portella de Joan Antoni à 17h03 et 10h55, sans presque m’en apercevoir. Le sentier vers la station est balisé mais je vais perdre une nouvelle fois le balisage dans le chao de blocs métamorphiques, mais pas au même endroit. Qu’importe, la marche se fait à vue et une fois les remontées mécaniques atteintes, il suffit de les suivre. Cette fois, malgré la marche sur la pelouse, la fatigue fait son œuvre et une certaine lassitude me gagne. Sans doute le fait de réaliser que le périple se termine, et que l’âge n’aidant pas, il est peu probable que mon corps m’autorise dans l’avenir un tel nouveau voyage en altitude. Mais la journée fut exceptionnellement belle, hors du temps, totalement seul des bipèdes habituellement bruyants.
Pic de Camp Colomer versant nord et son couloir de l’Entonnoir
Portella de Joan Antoni si proche et pourtant
Ultime regard vers mon périple que je laisse dans le dos
C’est une boucle à ne pas prendre à la légère car loin de tout.
Comme dirait Kilian Jornet « More climb, more fun »....enfin….presque.
Il me vient une citation de Sir Ernest Shackleton « Par l’endurance, nous conquérons ». Et si comme l’a écrit Charles de Leusse « La femme a des courbes pour que l’homme se courbe », moi je dirais que "La montagne a des pointes pour que l’homme s’éreinte."
Trace du jour :
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 11h47 pour 35,2 km à 2,95 km/h
Dénivelé positif total : 2804m – Autant en négatif
Point culminant : 2913m
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