Pic de la Coume d’Enfer – face Nord (PD sup)
30/05/2019 : Pla de las peyres – Coume de Varilhes – face Nord (PD+) – Pic de la Coume d’Enfer (2730m) – étang de la Coume de Varilhes – Coume de Varilhes – Pla de las peyres
Préambule : la saison n’est plus vraiment adaptée pour faire des couloirs, pourtant il reste suffisamment de neige, et parfois fraiche, en Ariège, pour ne pas tenter l’aventure. Je ne connais pas la vallée de la coume de Varilhes, mais je sais que de formidables sommets marquent la frontière avec l’Andorre. Le pic de la Coume d’Enfer est l’un d’eux et offre une face Nord imposante. Il est primordial de partir très tôt ; j’irai passer la nuit au point de départ.
Pic de la Coume d'Enfer présentant sa face Nord depuis le pla de las Peyres
Départ à 5h20, le jour n’est plus très loin. Deux mauvaises nouvelles quand je me mets en marche : il ne fait pas assez froid car la température est positive, et le vent souffle en crête. Allez à cœur vaillant rien d’impossible, nous verrons in-situ. Traverser immédiatement le torrent depuis le parking par la passerelle, et suivre les balises jaunes pour entrer dans la coume de Varilhes. Profiter de la passerelle suivante pour franchir le torrent et s’engager dans la pente de la face Nord.
Lever du jour dans mon dos
La coume de Varilhes aux premières lueurs du jour
Le couloir est à vue. Il s’agit de remonter à travers des landes de rhododendrons et myrtilles. La neige est continue à partir de 2100 mètres. C’est ici que commence un premier couloir qui mène à la partie supérieure. C’est une mise en jambe qui est proposée, avec une sortie en mixte. Je me présente à 6h28 au pied de ce mini couloir sans cône. L’approche n’aura demandé que 1h08.
La face Nord parait bien écrasée
L'ensemble des deux couloirs à suivre
Je me lance à 6h43. C’est la première fois de la saison que je m’engage si tôt dans un couloir, et il est déjà trop tard. Même si on évolue en face Nord, le couloir est orienté Est et prend immédiatement les premiers rayons du soleil. Pour le moment la neige porte plus ou moins bien, et ce court couloir et vite effacé. Même les 4 pas en mixte ne sont rien à côté de ce qui m’attend. Car la suite sera toute autre, avec la neige qui se ramollit trop vite.
A l'entame du premier tronçon, la photo donne une fausse impression de l'inclinaison
A la sortie avec le mixte rocaillo-herbeux
Il y a en suivant, une longue langue de neige qui pourrait s’apparenter à un cône de déjection, mais qui n’en est pas. Cette zone est marquée par un reste d’avalanche, ce qui permet de trouver de la neige compacte. Sitôt entrée dans le couloir, la pente se cambre brusquement. La qualité de neige est inégale, parfois molle, parfois glacée. Et pour pimenter le tout, une pluie continue de glaçons dégringole. Grimper et surveiller les glaçons est un exercice épuisant ! Je bénis autant que je maudis le soleil : sans lui il ferait finalement très froid, mais par sa faute, la glace tombe au risque de me meurtrir. Voilà le paradoxe qui occupe mon esprit, entre deux respirations. Ce petit ombilic qui paraissait inoffensif depuis le parking, s’avère être un véritable couloir qui se défend rudement bien. Faire la trace en solo, dans ce type de neige, est une véritable épreuve d’effort. C’est extrêmement épuisant, ou alors c’est moi qui prends de l’âge. L’exercice en solo demande une abnégation sans faille. L’inclinaison de la pente atteint son maximum dans l’ultime portion de sortie, soit 55°. Il me tarde de sortir du couloir pour trouver un peu de facilité, mais il n’en est rien, la pente ne faiblit quasiment pas. Et au lieu de trouver un second souffle, c’est une hypoglycémie que je trouve. Tiens, je ne l’avais pas vue arriver celle-là ! Je me pose sur un effleurement rocheux pour remettre du carburant dans le réservoir, et relancer le moteur.
Le pseudo cône menant au couloir principal
Le couloir semble bien court, apparence trompeuse
Sur la droite, vers l'Ouest
La pente avoisine les 55° par endroit
Proche de la sortie la pente atteint son paroxisme
Vue vers le bas depuis la sortie du couloir
La sortie du couloir nous dépose en pleine face Nord. Il y a un moyen direct de se rendre au pic en restant dans l’axe, mais la mauvaise qualité de neige me fait renoncer à cette option. D’autant que la cime est enveloppée d’un épais brouillard, et le vent vient de se lever. Je choisis donc d’aller rejoindre la crête N/O où la neige est moins abondante. La crête est battue par un vent puissant et glacial. Malgré cela, elle est facile à suivre et ne présente pas de difficultés notables. J’avance dans ce blizzard jusqu’à parvenir à la cime à 9h15. L’ascension aura demandé 3h18, temps finalement assez court pour 1000 mètres de dénivelé positif, et dans de telles conditions. La partie sommitale s’étend sur 50 mètres toute rectiligne. C’est un jour blanc versant Sud sur l’Andorre. Le temps d’immortaliser l’instant, et je dois fuir avant de finir congelé. De toute façon, il n’y a rien voir d’autre que du blanc sur blanc.
La visibilité ne s'améliore pas, c'est l'hiver dans toute sa rudesse
Impossible pour moi d’envisager un retour par le Sud, je dois revenir sur mes pas. Je suis alors la crête N/O tant que c’est possible, en profitant d’un minimum de visibilité. A vue, il est facile de voir qu’en versant Ouest, le terrain ne présente pas d’obstacle. A la première occasion, je m’engage. Or, la neige battue pas le vent botte sous mes crampons, malgré les anti-bottes. C’est finalement le moment le plus critique, car la glissade incontrôlée peut survenir à chaque instant. Je passe cette difficulté sans encombre jusqu’à parvenir au-dessus de l’étang de la Coume de Varilhes où un pierrier se cache sous le manteau blanc. Sur un pas anodin, ma jambe droite disparait totalement jusqu’au bassin ! Comme dans la mission spatiale Apollo 13 : « Houston, nous avons un problème ». Seulement ici il n’y a pas Houston au bout du fil. Pas de fracture, pas douleur, cela m’amuse tellement la situation est ridicule, mais cette plaisanterie va me piéger un moment avant que je puisse désincarcérer la jambe. Seul dans ce piège neigeux, ce fut un drôle de moment de solitude.
Visibilité réduite, mais visibilité quand même
Descente sur l'étang de la coume de Varilhes
Face Est du pic de la Portaneille et quelques couloirs à découvrir
Les crêtes du pas de la Portaneille
A partir de 2000 mètres, les conditions sont à nouveau plus clémentes et avec ce que je viens d’affronter, j’ai à présent trop chaud. Au bord du torrent, je quitte l’équipement d’alpiniste pour reprendre l’apparence d’un randonneur. Je profite pleinement du décor formé par les crêtes du pic de la Portaneille et du pic de Ransol. Cet endroit est minéral et tellement austère ! Une beauté sauvage s’en dégage. A partir de cet instant, il ne reste plus qu’à suivre un sentier, parallèle au torrent. Soudain, à quelques mètres de moi, un chevreuil me fait face. Mais que fait ce cervidé des bois dans un terrain à isards ? Il aura l’amabilité de se faire tirer le portrait, avant se lancer dans un galop sur les pentes raides du pic de Cabaillère ; sa façon à lui certainement de me dire que physiquement nous ne sommes pas faits pareils, que moi pauvre bipède, ma place n’est pas ici ! Longue vie à toi ami quadrupède ! La suite est plus bucolique et finalement le point de départ est vite rallié. J’en termine donc à 11h49, après 5h21 où je serais passé par toutes les émotions.
Ici le printemps et l'hiver se côtoient à quelques centaines de mètres
Dernier regard sur le couloir où la cime ne se dévoile toujours pas
Je me suis offert un nouveau haut sommet dans l’Aston, ce coin d’Ariège qui en compte bien plus que partout ailleurs. Je réalise chaque fois un peu plus, combien il reste encore à parcourir dans ces vallées, avant de pouvoir dire sans rougir : l’Aston, je connais ! Quant au couloir de la face Nord, je n’aurai que deux conseils : il faut le faire et partir tôt. Un classique à coup sûr, s’il n’y avait pas autant de route.
Tracé du jour sur carte IGN 1/25000
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 5h21 pour 11 km à 2,1 km/h
Dénivelé positif total : 1030m – Autant en négatif
Point culminant : 2730m
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