Pique d’Estats par la voie normale – hiver 2022
Dimanche 06/03/2022 – Jour 1 : parking de l’Artigue – Bois de Fontanal – Orris de Pla Nouzère – Etang Sourd – Refuge du Pinet
J’ai déjà gravi la Pique d’Estats en hiver, et je sais que ce n’est pas un sommet qui s’offre facilement. Mais si les bonnes conditions sont réunies, il n’y a rien de technique. Les fidèles et inusables Joël et Sébastien vont se joindre à moi pour cette entreprise. Nous avons le désir de passer ensuite la frontière pour aller jusqu’à Baborte, si les conditions le permettent. Départ à 12h10 du parking de l’Artigue où le sentier est sec de neige. Il faut suivre l’itinéraire de la voie estivale. Nous trouvons la neige en petite quantité dans les bois de Fontanal. L’ascension se passe sans encombre jusqu’à sortir aux orris de Pla Nouzère à 13h25, pour 1h23. Le ciel est bas et menace de chutes de neige, mais la température est encore trop haute pour cela.
A partir de ce point, le sentier monte de façon soutenu
Neige parfaite pour évoluer en chaussures
Le massif de Bassies restera invisible
A cet instant, deux itinéraires sont possibles. Nous choisissons celui qui passe par l’étang Sourd. Nous chaussons les raquettes et l’on s’engage dans la pente. Mais peu de temps après, nous entrons dans le brouillard. L’étang Sourd est à la verticale, au Sud des orris de Nouzère. Sans suivre exactement la trace GPS, mais la recherche naturelle d’itinéraire, trouver l’étang n’est pas insurmontable, mais la suite va être plus complexe. Au niveau de l’étang, nous avons affaire à un jour blanc. Aucune visibilité, pas même à un mètre ! En quittant les berges de l’étang, le nez sur le GPS pour se mettre dans l’axe de la marche, et persuadé que tout est plat autour de moi, je ne prends pas garde et mets le pied gauche dans le vide. Sanction sans grande conséquence : une glissade haute de 8 mètres dans une combe créée par une congère. Ouf, plus de peur que de mal, mais quelle frayeur ! Il faut redoubler de prudence. Nous montons en raquettes jusqu’à 2100 mètres, pour initier une traversée en dévers, où les crampons deviennent indispensables sur un sol totalement glacé. Sans crampons point de salut. Ainsi sécurisé, il ne reste alors qu’à poursuivre jusqu’au refuge. Tel un vaisseau fantôme, le refuge n’apparait dans la brume qu’à moins de 15 mètres. Fin de cette journée d’approche à 16h05, pour une montée de 3h30 effective.
Ambiance fantomatique au refuge
Nous sommes les seuls dans le refuge, et le resterons toute la nuit. Si les prévisions météo sont bonnes, une belle journée nous attend pour gravir la Pique d’Estats et aller dormir au refuge de Baborte. Nous nous couchons à 21 heures. Demain, il faudra tout ranger et repartir le sac lourd vers une autre destination.
Trace du jour :
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 3h30
Dénivelé positif total : 1107m – Dénivelé négatif total : 34m
Point culminant : 2240m
Lundi 07/03/2022 – Jour 2 : Refuge du Pinet (2240m) – Etang du Montcalm – Pique d’Estats (3143m) – aller/retour
Levés à 6 heures, nous quittons le refuge à 6h25 crampons aux pieds. Comme prévu, le froid est présent par un -5°C, mais dans ce versant Nord, la neige n’est pas transformée à ce moment de la saison. Il faut faire une trace car la couche de surface casse à chaque pas. Nous nous élevons sur la gauche de l’étang du Pinet. Ce passage haut seulement de 60 mètres demande son content d’efforts. Le cœur ne veut pas battre, je respire mal. Je n’ai pas de bonnes sensations, je sais déjà que ma journée va être compliquée.
Lever du jour, cela indique l'Est
Enfin le massif de Bassies devient visible dans notre dos
Une fois en haut de la butte, la pente se couche, moi aussi. Plus de force. Je bois, je mange, je me relève, nous repartons. Nous entrons dans un vallon étroit et glacial. Une véritable chambre froide où chaque hiver se forme de la glace bleue sur les rochers. D’ailleurs sous la couche de neige de 20 centimètres qui casse à chaque pas, se cache de la glace. Il faut parcourir ce vallon en dévers. La prise de dénivelé est faible. Pourtant, à intervalle régulier, je dois m’arrêter en m’écroulant au sol. Joël me donne une vitamine C, Sébastien améliore mon eau avec des acides aminés, et je repars. Pourtant, j’ai beau m’accrocher à mettre un pied devant l’autre, mon corps a renoncé. Au bout du vallon se trouve le passage le plus technique de la journée, un bombement du terrain à passer en désescalade sur de la neige dure comme du béton. On passe alors 40 mètres au dessus de l’étang d’Estats, pratiquement sans respirer, tant l’erreur est à éviter.
Pointe du Parec plein centre
Le dévers est plus prononcé que la photo ne le laisse paraitre
Le vallon que nous venons de parcourir
On s’engage ensuite dans un goulet étroit qui permet de monter à l’étang du Montclam. Je n’arrive pas à suivre mes camarades ; j’avance deux fois moins vite qu’eux, mais je m’accroche. Jusqu’à quand ? A cet instant précis, je sais que le pic est en train de m’échapper. Mes camarades m’attendent au niveau de l’étang, et nous faisons un point sans détour. Nous abandonnons toute idée d’aller dormir à Baborte, et l’on va se concentrer uniquement sur la Pique d’Estats ; et nous atteindrons le sommet à trois ou aucun. Face à cette solidarité sans faille, je me dois d’aller plus loin que la fatigue, je ne peux pas renoncer, je n’ai pas le droit de renoncer. Le vent n’est pas présent, il ne faudra lutter que contre la pente. Pourtant, nous nous sommes élevés seulement de 326 mètres depuis le refuge, et je suis déjà occis. Il reste encore 577 mètres à gravir, et je ne sais pas avec quelle énergie ce miracle sera possible. Pourtant, j’emboite le pas des copains, et en avant la galère. Je pense à cette citation de Michel Audiard : « Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ». Alors marche Ludo, marche !
Pointe du Montcalm vu depuis l'étang éponyme
La pente met le cap au Sud en s’élevant fortement. C’est soutenu, aucun répit, c’est la partie la plus raide. Le décor est grandiose, à la hauteur de nos attentes. Ce blanc omni présent ajoute encore plus de prestance à un massif qui n’en manque déjà pas. Je m’écroule à bout de force deux fois par tranche de 100 mètres de dénivelé. Aucun autre moyen de trouver du repos. Je ne suis qu’une ombre à la dérive. Je suis si faible que j’en oublie le froid qui me dévore les pieds. J’ai un taux de saturation en oxygène à 90%. Voilà ce que dit la norme : « Le taux d’oxygène d’une saturation normale est compris en 95 % et 100%. Elle est considérée comme insuffisante entre 90 % et 94 %. En cas de taux inférieur à 90 %, il y a désaturation, un cas d’urgence. ». Je viens de comprendre que j’avance avec un seul poumon et un cœur qui ne refuse de monter dans les tours. Mais comment renoncer devant le travail remarquable de Joël et Sébastien à faire une trace parfaite pour ma faciliter l’ascension ? Je dois poursuivre avec de petits objectifs. Je dois arriver au moins à l’altitude du pic de la Dona (2702m). Une fois parvenu, j’abandonne définitivement mon sac au sol, je n’en ai plus besoin. Je vais poursuivre jusqu’au Canigou (2784m).
Les copains dans la portion la plus raide
Un bout de trace d'où nous venons
Ainsi, délesté d’un sac inutile, cela devient moins pénible. Prochain objectif, le pic des Bastiments (2881m), et le suivant sera le Carlit (2921m). Ces micros étapes me conduisent au col de la Coumette, d’où l’on aperçoit pour la première fois la cime de la Pique d’Estats. Allez, « plus que » 240 mètres et ce sera gagné. Voilà un pensée inespérée il y a encore 2 heures. Inutile de passer par le col du Riufret, il faut rester toujours plein Sud. La pente est toujours aussi raide, la neige porte toujours aussi mal, mais avec l’objectif final en vue, cela me galvanise.
Enfin la croix sommitale est visible
Au fond, le pic de Sotllo (3072m)
Sébastien est parti définitivement devant en raquettes, alors que Joël et moi restons proches en crampons. Au dessus de 3000 mètres, le vent souffle avec une certaine vigueur, mais rien de pourra entamer notre objectif final. La Pique se rapproche plus que jamais, je vais aller au delà de la fatigue. Joël dépose le sac au col entre l’Estats et le Verdaguer, pour finir les ultimes pas plus léger. Ce bout d’arête fraichement plâtré est très esthétique. Le sommet est atteint à 11h40, après 5h16 d’efforts depuis le refuge. Mais l’essentiel est d’être en haut. La montagne en Ariège c’est déjà rude en été, mais en hiver et sur son toit, c’est quelque chose ! Juste heureux !
Pointe sommitale nord de la Pique d'Estats
Derniers pas avant le point culminant
3143 mètres, il n'y a pas plus haut entre la Méditerranée et l'Aneto
La vue vers le Sud est bouchée, beaucoup de nuages et de vent. D’ailleurs ce vent glacial est intenable. Nous n’avons pas eu de température positive depuis les 2°C du refuge. A l’instant il fait tout juste -6°C. Seulement 10 minutes sur le sommet, et nous fuyons nous mettre à l’abri. Passage au col entre l’Estats et le Verdaguer pour récupérer sac et raquettes de mes partenaires, et nous plongeons pleine pente sans suivre la trace de montée.
Estany d'Estats en versant Sud
Vue vers le Nord sur le Montcalm
Vue vers le vallon de Riufret
La descente est rapide malgré la qualité toujours aussi mauvaise de la neige. Sans effort cardiaque, le fait de s’enfoncer n’est plus aussi pénalisant. Nous allons au plus direct. Nous faisons une halte repas sur une pointe à 2641 mètres, à 12h55. Je suis faible et j’ai grand besoin de manger, mais je n’arrive à rien avaler. Je vais me contenter d’un œuf dur et d’un bout de pain qui l’est tout autant. A 13h15, nous repartons.
Descente après le col de la Coumette
Les traces de montée et descente s'entre-croisent
La marche est rapide dans ce sens. Pour éviter le passage délicat matinal au dessus de l’étang d’Estats, nous suivons le goulet qu’a creusé l’eau venant de l’étang du Montcalm. C’est direct et pratiquement sans danger. Cela conduit au bord de l’étang et par une courte remontée, nous retrouvons facilement le sentier en dévers au-dessus du canyon. Il ne reste alors qu’à rejoindre le refuge. C’est chose faite à 14h35, concluant ainsi une journée de 7h29 de marche. Il n’aura fallu que 2h13 effectives pour descendre du sommet, soit deux fois moins de temps qu’à la montée. Terrible constat qu’il est vraiment rude de prendre de la hauteur.
Etang d'Estats invisible sous le couloir à Gégé
Joël sur le point de descendre sur l'étang d'Estats
La même descente prise par Joël
Glace bleue sous la Pointe d'Escasse
Nous arrivons les premiers au refuge, mais ne tardons pas à être rejoints par 6 autres personnes venant du fond de la vallée. Nous partagerons ce soir le bâtiment à 9 personnes. La température générale ne sera pas plus haute pour autant. Ambiance veillée d’armes pour les 6 qui tenteront le sommet dans quelques heures. Pratiquement tout le monde au lit dés 20 heures tapantes.
Trace du jour :
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 7h29 pour 8,3 km à 1,1 km/h
Dénivelé positif total : 945 m – Autant en négatif
Point culminant : 3143m
Mardi 08/03/2022 – Jour 3 : Refuge du Pinet – Orris de Pla Nouzère – Bois de Fontanal – parking de l’Artigue
Durant les premières heures de la nuit, le vent se lève brusquement. Il va souffler avec rage toute la nuit. La montagne est hystérique. Et pour couronner le tout, j’ai les intestins en dérangement. C’est une véritable tempête à l’extérieur comme à l’intérieur de mes boyaux. Je serais contraint par deux fois de sortir dans la tourmente pour soulager la pression douloureuse de mes intestins. Longue nuit pour moi ! Lever à 7 heures, nous nous mettons en marche à 8h30, crampons aux pieds ; retour direct vers la plaine.
Dos au refuge, nous prenons pleine pente pour éviter le sentier estival, tout comme le passage par l’étang Sourd. C’est l’itinéraire de descente le plus rapide en cette saison, mais il faut impérativement les crampons ou les skis. Malgré les nombreuses plaques à vent qui ont parfois cédé, cela n’a pas présenté de réel danger. Il faut néanmoins rester vigilant à pousser toujours la marche vers l’est, donc main droite. L’idéal étant de garder à vue le petit pré de Pla Nouzére. Ne jamais vouloir aller plein Nord dans la pente. Nous parvenons aux orris du Pla Nouzére à 9h25, en seulement 55 minutes. Nous quittons les crampons, et l’on plonge dans les Bois de Fontanal. Au pas de course, Sébastien avance grand train. J’ai du mal à suivre la cadence. C’est le passage le moins « intéressant » ou agréable, alors autant qu’il soit le plus court possible. Nous parvenons au point de départ à 10h18, pour une descente totale de 1h35. C’est impressionnant pour des non skieurs avec un sac lourd. Ici il fait trop chaud avec 12°C et l’absence de vent. Qui peut imaginer à cet instant, qu’une tempête fait rage 1000 mètres plus haut ? De l’avis de tous, l’Estats en hiver, c’est un morceau d’anthologie ! Pour l’anecdote, personne n’aura réussi le sommet en ce jour de vent tempétueux.
Les chiffres de la journée :
Temps de marche total 1h35
Point culminant : 2240m
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