Refuge du Costabonne en hivernale
06/12/2014 – Jour 1 : Col de Mantet (1760m) – route forestière - refuge Da Silva – Prat Barrat – Pla de Campmagre – Mort de l’Escoula (2412m) – Col del Pal (2319m) – Refugi de Costabonne (2180m)
Nous avons rendez-vous, Yannick et moi, avec la première neige de l’hiver, qui a tout juste une semaine. Nous savons que les conditions météo ne seront pas optimales pour profiter pleinement du décor, et que le matériel de saison est indispensable, le triptyque crampons/piolet/raquettes. Nous partons du col de Mantet à 9h38, en suivant la route forestière, direction Sud/Est. On laisse pour cette fois le sentier pour pla Segala qui se faufile en forêt, pour rester presque de niveau sur cette piste.
Malgré une légère couche de neige fraiche, les raquettes ne sont pas utiles, et c’est sans difficulté que l’on chemine. On domine par endroit le village de Py, 700 mètres plus bas à gauche ; puis, face à nous, s’étire la longue crête des Esquerdes de Rotja.
Malgré le fait que ce soit long, nous avons tant de choses à nous raconter, que l’on va avaler cette première partie de journée en 1h43. Le refuge Da Silva, nommé également dels Clots, se trouve caché après un pont qui enjambe le torrent de la Rotja. Il est 11h28 quand nous le découvrons, alors, nous profitons de cet abri pour prendre le repas. L’intérieur est propre et semble entretenu par des chasseurs d’isards ; pas de couverture mais des matelas, cela est amplement suffisant pour y passer une nuit, en cas d’intempérie.
Nous repartons à 12h30, en revenant sur nos pas sur 200 mètres, puis l'on quitte la piste pour monter en direction de prat Barrat. Un cairn indique le point de départ de ce qui ressemble plus à un sentier de vaches que de randonneurs. Mais les pins et les genets disparaissent rapidement et il n’y a aucun problème pour trouver son chemin. On reste rive droite orographique de la Rotja, et à 13h12 nous voici à l’orri de Prat Barrat. C’est une jasse où l’orri, de construction solide, trône au centre.
De ce lieu, on a en vue toutes les options pour la suite de notre itinéraire. Il s’agit de rejoindre le pla de Campmagre, plateau se terminant au col entre les Esquerdes de Rotja et le sommet de Roc Colom. Nous choisissons de remonter un couloir, dans les Conques, d’où le torrent Rotja prend sa source. La neige est croutée, les raquettes sont donc inutiles. Nous chaussons alors les crampons et l’on se lance dans ce premier défi.
Le couloir dans Les Conques
A notre grande surprise, il n’y a aucune difficulté, et même si la pente est par endroit prononcée, cela passe haut la main. Une fois sur le plateau, on a rendez-vous avec la Tramontane, vent furieux et violent qui souffle du Nord. Nous l’avons dans le dos, donc il nous pousse vigoureusement en direction du col de Mort de l’Escoula.
Le vallon que l'on vient de remonter
Mort de l'Escoula
La banquise du pla de Campmagre, Roc Colom au fond
Dans de meilleures conditions, nous serions montés au sommet de Roc Colom, mais le vent est si fort qu’il nous pousse naturellement vers les sources du Tech. On passe en dévers, le premier versant, puis on vise le col del Pal en courbe de niveau. Arrivée au col frontalier, le vent accélère et nous invite à éviter la crête du Costabonne, pour descendre au plus vite vers le versant Espagnol. Il fait trop mauvais pour aller se risquer sur une quelconque cime. Nous trouvons rapidement un très vieux panneau métallique qui indique la direction du refuge, puis un second idéalement placé. En effet, le refuge est tout proche, mais totalement invisible de-là où nous sommes, bien caché par un ressaut rocheux. Le sentier passe à une source où il faut tourner à droite et trouver à moins de 5 minutes le petit refugi de Costabonna (en Catalan). Nous sommes accueillis par un isard qui semble aussi surpris que nous par cette rencontre. Qui est le plus à sa place, dans de pareilles conditions ?
Le refuge est vide, nous serons les seuls à l’occuper. Il y a 15 couchages mais pas autant de couvertures. L’unique fenêtre n’est pas étanche au vent, et laisse passer de la neige pulvérisée, mais cela ne devrait pas nous déranger pour passer la nuit. La source est captée pour fournir de l’eau au niveau du refuge, mais le gel a condamné la fontaine. 5 minutes de marche sont nécessaires pour aller faire le plein en eau fraiche. Il y a également un panneau solaire pour l’éclairage, mais cela ne fonctionne pas. Ces conditions spartiates ne vont pas nous empêcher de passer un agréable moment, et comme il n’y a rien de mieux à faire par si mauvais temps, nous nous couchons vers 20 heures.
Refuge du Costabonne sous le sommet
Tracè du jour sur carte 1/25000
La journée en chiffres :
Temps de marche total 4h40 pour 15,7 Km à 3,9 km/h
Dénivelé positif total : 877m – Dénivelé négatif total : 440m
Point culminant : 2414m.
07/12/2014 – Jour 2 : Refugi de Costabonne – Col del Pal – Mort de l’Escoula – Pla de Campmagre – Prat Barrat – route forestière – Col de Mantet
Nous venons de passer une bonne nuit, sans avoir ni trop chaud, ni trop froid, malgré une température de 0°C dans le refuge. Celui-ci est très bien isolé phonétiquement si bien que l’on n’entend pas ce qui se passe à l’extérieur. Par contre, au niveau de l’unique fenêtre, la neige se faufile et est venue recouvrir une partie de la table. C’est une drôle de surprise que de voir qu’il a neigé à l’intérieur.
Cette neige est entrée à la faveur d’une chute de neige fraiche nocturne et d’une Tramontane qui s’est renforcée durant la nuit ; cette fois c’est du sérieux, le vent doit dépasser les 100 km/h devant la porte de la petite bâtisse. Rien ne presse pour aller se geler, alors nous prenons bien le temps de nous vêtir pour affronter ce blizzard et à 7h38 on se lance dans la bataille.
Il est immédiatement visible qu’il a neigé abondamment durant les dernières heures. Nous reprenons le même itinéraire que la veille, et l’on ne voit plus nos traces. Au niveau de la fontaine, nous remontons le vallon, tout en luttant contre la force d’un vent complètement fou qui nous fait face. Au niveau du faux col au dessus du refuge, la vitesse du vent s’accélère atteignant certainement les 140 km/h. On titube, on est repoussé en arrière. Nous devons nous poser au sol pour chercher de la stabilité et reprendre nos forces. Malgré les -8°C ambiants, et ce vent redoutable, nous n’avons pas froid au corps, seuls les doigts ont besoin de retrouver un peu de chaleur.
La lutte semble inégale, mais heureusement nous avons un allié, le soleil et une arme secrète, la solidarité. Sans le soleil, ce serai intenable, nous aurions dû faire demi tour, cap sur Espinavell. Mais puisque nous supportons le froid, alors il va falloir passer coûte que coûte. Sur notre droite, la cime du Costabonne se devine en ombre chinoise. Nous repartons vaillamment dans un passage extrêmement exposé dans ces conditions, une très longue traversée en dévers. On a en ligne de mire le col del Pal, notre sésame pour le retour. Le vent de face lève des cristaux de glace qui nous fouettent le visage et nous masque la vue. C’est un jour blanc, c’est à dire que l’on ne différencie pas le sol de l’air. J’ai commis l’erreur de ne pas prendre le masque et la cagoule, et malgré mes lunettes de glacier je ne vois absolument rien. On marche presque à l’aveugle, une drôle de sensation. Le col est là à quelques mètres, on fait l’effort et nous y sommes. Mais ici, l’effet venturi est effroyablement redoutable. Le vent souffle sans faiblir à 140km/h, il nous fait reculer, au mieux il nous stoppe. S’engage alors un bras de fer contre cette force invisible qui veut nous dominer, qui à tout instant semble pouvoir nous arracher à la graviter. Nous tentons de forcer le passage une première fois l’un à côté de l’autre, mais en vain, on recule ; le vent est si fort que nous sommes inclinés face au sol, alors qu’en temps normal nous tomberions dans cette position, or là, nous sommes en équilibre précaire. C’est inhumain, nous ne sommes pas à notre place, il faut faire vite. Alors nous forçons une seconde fois le passage en se tenant par le bras, comme une mêlée, en unissant nos forces. Cette fois sera la bonne et nous plongeons immédiatement dans le calme relatif de la Coume du Tech. Dans un jour blanc, on a vite fait de se perdre c’est même la principale caractéristique de ce jour, mais aujourd’hui je sens bien où nous sommes et l’on prend plaisir à naviguer à l’aveugle sur cette banquise. On se garde bien de perdre trop dénivelé qu’il faudrait ensuite reprendre, alors on va essayer de traverser, au mieux, à flanc, ce fond de cirque. Nous buttons sur une immense congère de neige fraiche ; on tape dedans comme dans un mur car nous ne l'avions pas vu. Yannick va la mettre en pièce pour enfin passer par dessus. Puis, nous arrivons par hasard, au monument en forme d’orgue qui rappelle le décès de 3 Catalans ici même lors du printemps 1978. L’ambiance est glaciale dans tous les sens du terme.
Un coup d’œil sur le GPS pour nous mettre dans l’axe du col de Mort de l’Escoula et l’on progresse sur une forte pente. Plus on se rapproche du mur de neige et plus le silence se fait ; nous sommes dans une bulle qui nous isole du vent et du bruit. Une corniche se dresse à nouveau devant nous, et cette fois, c’est moi qui vais batailler pour l’enjamber. C’est fait, nous venons de franchir le dernier obstacle, le vent toujours aussi rageur ne nous fait plus peur. Le plateau battu par cette incroyable tempête, ressemble à la banquise, c’est vraiment magnifique. Que ne faut-il pas endurer pour voir pareil spectacle ! Nous pourrions rentrer vent de face en direction de pla Segala, mais cette lutte comme la Tramontane serai stupide, voire dangereuse. Alors, nous reprenons le même couloir que la veille, celui qui mène directement vers la quiétude de prat Barrat.
Pas de difficulté notoire dans cette descente où l’on a plus qu’à marcher à vue dans la direction qui est la notre. En perdant du dénivelé, on est de plus en plus libéré de la folie du vent, et à 11h26, quand nous arrivons à l’orri de prat Barrat, l’ambiance bucolique, en version hivernale du lieu, nous incite à nous poser. Après 3h14 d’effort, on s’octroie le plaisir de prendre le repas ici même, au calme et au soleil. Quel luxe après tout ce que l’on vient de vivre !
Dernier regard sur le couloir d'où l'on vient
Le contraste est saisissant entre la violence qui règne sur les cimes et le calme sur ce grand pré blanc. Quasiment deux climats cohabitent à 300 mètres de dénivelé d’écart. Après une heure de pause, nous repartons, crampons dans le sac, en direction de la piste forestière. Pas de problème pour retrouver l’itinéraire et nous prenons pied sur une piste entièrement blanche, couverte de 15 centimètres de poudre fraiche. A part de nombreuses traces d’animaux, c’est vierge de toute présence humaine. C’est agréable de faire sa propre trace, comme des pionniers qui ouvriraient une voie. Ce retour nous paraît long, très long. En effet, cela représente plus de 8 km, et même le Canigou sur notre droite, qui découvre sa cime peu à peu, ne nous enlève pas ce sentiment de lassitude. C’est un bon itinéraire pour découvrir la raquette, car le dénivelé est très faible, mais il faut se méfier de la longueur et de la monotonie.
Tout proche, le sommet du Tres Estelles
Nous terminons la journée où nous l’avions commencé la veille, à 15h05, avec une température au col de Mantet de -2°C. Ainsi s’achève un sacré week-end glacial à deux semaines de l’hiver officiel.
La journée en chiffres :
Temps de marche total 5h50 pour 15,4 Km à 3,4 km/h
Dénivelé positif total : 426m – Dénivelé négatif total : 812m
Point culminant : 2419m.
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