Rando dans les Pyrénées en toute simplicité

Rando dans les Pyrénées en toute simplicité

Pic de l’Albe par le couloir Dérobé (PD)

14/03/2020 : L’Hospitalet-près-d’Andorre – GRT – Jasse del Forn – Etang du Siscar (2200m) – Etang de Regalécio – couloir Dérobé – Pic de l’Albe (2764m) – Etang de Pédourrés – Val d’Arques – L’Hospitalet-près-d’Andorre

 

Après une nouvelle chute de neige, c’est à nouveau vers l’Ariège que je me tourne, au fin fond de la Haute-Ariège plus exactement, pour rendre une visite au pic de l’Albe. Ce sommet se trouve aux confins de la petite vallée d’Arques et son arête Sud/Ouest le relie au pic d’Escobes. Bien que ce sommet m’attire depuis longtemps, je n’ai encore jamais eu l’occasion de gravir le pic de l’Albe, tant l’approche paraît interminable. Je n’ai jamais été un adepte de la marche nocturne, mais force est de constater que la nuit peut être une alliée. En effet, rien n’est là pour distraire le regard, surtout quand on est seul, et chaque pensée se focalise sur le pas à faire. De plus, le froid permet de garder intactes les conditions idéales pour grimper un couloir. Le soleil est un ami précieux de la vie, mais également le premier ennemi du froid. C’est avec ce paradoxe que joue l’alpiniste durant chaque sortie hivernale. Et comme il y a du kilomètre avant le fond de vallée où se trouve le sommet, autant ne pas perdre de temps.

 

Le couloir vu un jour d'octobre 2018 depuis le pic de la Cabaneta

IMG_7799.jpg

 

Vue 3D

Carte_3D_annotée.jpg

 

Je prends le départ à 5 heures pétantes. La température est pour l’heure positive et le vent est nul. Mon point de départ se situe sur la route N20 face au parking du pont Sainte Suzanne, bien que cet itinéraire ne soit plus officiel. Il s’agit de suivre les balises du GRT68 qui est l’un des accès au refuge du Rulhe, balisé blanc et rouge. Le sentier s’élève instantanément et fortement pour quitter la vallée principale, afin de gagner une vallée suspendue. Je trouve rapidement la neige aux alentours de 1500 mètres, de façon éparse, et qui ne porte pas. Le sentier regorge d’eau, c’est fortement humide, jusqu’à trouver l’antique pont de pierre sur le ruisseau du Siscar. Je traverse le ruisseau et tourne à gauche. La neige devient de plus en plus présente, mais ne porte toujours pas. La marche est pénible, lourde, j’ai la sensation de me trainer. Avec la prise d’altitude, le froid hivernal fait son apparition. La neige en continu débute à 1950 mètres et de façon immédiatement abondante. J’ai fait l’impasse sur les raquettes, je compte sur un bon regel. Mais au passage dit « Saut du Taureau », un rétrécissement creusé par le torrent, la neige craque sous mon poids. Le jour se lève, je range la frontale.

 

Premières lueurs du jour sur le pic d’Auriol

P1110363.JPG

 

Intersection avec le sentier du coll dels Clots
P1110364.JPG

 

La pente se cambre. Un pas sur deux la jambe droite disparait totalement dans le manteau blanc. Combien y a t’il d’épaisseur à cet endroit, 1,5 mètre, plus ? Pour sortir du piège et répartir le poids, je marche quelques mètres à 4 pattes, c’est ridicule, c’est épuisant, mais c’est rudement efficace. Puis ma jambe plonge à nouveau, même exercice d’extraction, et ça replonge ! Mais que c'est usant ! J’ai bon espoir que cela cesse à l’approche de la Jasse del Forn, alors je m’obstine malgré une petite mélodie qui commence à me dire : « A quoi bon lutter ! Fais demi-tour ! ». Avec le lever du jour, le paysage apparait de plus en plus distinct, et cela vaut bien tous les efforts.

 

Les premiers rayons embrasent le pic d’Escobes

P1110365.JPG

 

Gros plan sur le Pic d'Escobes et le Cylindre à sa gauche
P1110366.JPG

 

Le pic d'Escobes est omniprésent durant toute la progression
P1110367.JPG

 

Retenue d'eau à la Jasse del Forn
P1110368.JPG

 

J’ai bien fait d’insister car je trouve enfin une neige suffisamment dure pour me porter, et obliger presque à cramponner. La montre affiche 7h28, cela fait 2h27 que j’avance, il est temps pour moi de manger. A cet instant, j’ai parcouru la moitié de l’approche, et avalé la moitié du dénivelé positif. Pourtant, rien encore ne peut me garantir le succès de ce que je viens d'entreprendre. En hiver, c’est le royaume de l’incertitude ; j’aime naviguer dans cet univers. L’esprit est en éveil, c’est une remise en question permanente. Durant cette courte pause, le soleil vient me chatouiller les oreilles et redonner vie à mes orteils meurtris par le froid. Je repars à 7h45 mais toujours sans crampons.

 

Le décor est juste magnifique

P1110369.JPG

 

Une partie de la haute vallée dans mon dos
P1110370.JPG

 

Il faut changer de rive au niveau de la cabane de la Vésine. C’est l’endroit où plusieurs bras d’eau viennent s’unir pour former à cet instant le ruisseau du Siscar. Je vais avoir la chance de trouver quelques ponts de neige suffisamment solides pour traverser au sec. Il y a d’anciennes traces de raquettes qui s’élèvent doucement, judicieusement. Je les suis, ce qui me permet de prendre de la hauteur facilement, par rapport à l’étang du Siscar. Il est 8h25 quand je suis à l’aplomb de l’étang [3h07]. A présent, il faut poursuivre vers le Sud en traversée ascendante, en laissant à la droite le sentier de la Porteille du Sisca. L’étang de Regalécio est invisible sous la neige. La particularité du couloir que je convoite, est d’être totalement invisible durant l’approche, et rien ne peut laisser paraitre sa présence. C’est mon intuition qui me conduit à son pied à 8h53. Une approche de 3h35, c’est quelque chose !

 

Panorama au dessus de l'étang du Siscar

P1110371_stitch.jpg

 

Etang de Siscar
P1110378.jpg

 

Face Ouest du Roc Mélé (2813m)
P1110381.JPG

 

Le couloir n'est pas visible, il se trouve à gauche de la longue barre rocheuse

P1110380.JPG

 

Il est là. Enfin j’y suis. Il n’est pas impressionnant vu d’en bas, presque trop court pour tant d’approche, mais là n’est pas le sujet. Il est la porte d’entrée au pic de l’Albe, un sommet coriace en été, qui a ravi des vies. Un sommet qui se respecte, que l’on peut craindre même. Je l’observe tout en chaussant les crampons. Le cône de déjection est court, et la pente pas vraiment forte. Quelques coulées de blocs neigeux ont martelé le manteau neigeux. Il est orienté vers l’Ouest mais totalement à l’abri du soleil par une barre rocheuse sur sa rive gauche (donc à ma droite). J’ai hâte, j’y suis, 9h07 c’est parti.

 

Le couloir Dérobé dans toute sa longueur

P1110383.JPG

 

Gros plan sur la partie majeure
P1110384.JPG

 

La neige est parfaite, du béton à souhait. Pourtant, par endroit où la coulée a sévi, la portance est moindre, mais rien de pénalisant. Le cône très court est vite effacé, et l’on entre rapidement dans le couloir. La pente ne dépasse pour le moment pas les 40°, c’est donc une grimpe rapide sur les pointes avant. Trop rapide, je dois prendre mon temps si je veux profiter pleinement ce que je suis venu chercher. Pourtant, et c’est la surprise du jour, plus on s’élève, et plus la pente se cambre, et n’en finit pas de s’incliner. De la glace se détache des barres latérales du couloir, faisant un bruit étrange, comme annonçant un danger. Ne pas s’arrêter, telle est ma devise, et surtout profiter des conditions parfaites.

 

Vue depuis l'entrée du couloir

P1110385.JPG

 

Le cône de déjection vu de haut
P1110386.jpg

 

Champ de neige fracturée
P1110388.JPG

 

Dernier tiers du couloir
P1110389.JPG

 

Paysage vu de dos
P1110390.JPG

 

Travail sur les pointes avants
P1110393.JPG

 

Le final est proche mais ne ressemble à aucune autre sortie habituelle. Pas de corniche, pas de rupture de pente, mais une courbure très raide sur la gauche, qui se poursuit sans discontinuité vers un plateau sommital. Là encore, on ne peut pas réellement parler de plateau, mais plus exactement d’une large zone penchée menant au point culminant. Je sors totalement à 10 heures sur la zone moins inclinée, après 4h28. Sur la partie terminale de l’ascension, la neige est même absente. Un gros cairn signale la direction de la cime. Le sommet est entièrement sec. Fin de l’ascension à 10h24, le tout en 4h28. Je suis dans les temps que je m’étais fixé, il ne reste plus qu’à contempler. La vue est belle, la vie est belle.

 

La sortie est totalement à gauche, déjà au soleil - la glace brille sur la roche

P1110394.JPG

 

La vue vers le bas confirme la forte inclinaison
P1110395.JPG

 

Le proche pic de Nérassol
P1110396.JPG

 

Pente terminale telle qu'on la découvre en sortant du couloir
P1110397.JPG

 

Pic d'Escobes sous un autre angle
P1110398.JPG

 

Etang de l'Albe et pic de Rulhe
P1110399.JPG

 

Du sommet vue sur le Rulhe au Nord/Ouest
P1110415.JPG

 

Du sommet vue sur le Roc Mélé au Sud

P1110408.JPG

 

Du haut des 2764 mètres, je scrute l’horizon pour reconnaitre les sommets connus. Un drôle de jeu qui se pratique depuis que je fais de la montagne. Tiens, c’est exactement 20 mètres de moins que le Canigou, qui apparait pourtant dans mon champ de vision. Dans un décor blanc, et sous un angle différent, les sommets ne sont pas si facilement identifiables. Voici un florilège du panorama local.

 

Etang d'Albe

P1110401.jpg

 

Gros plan sur le versant Est du pic de Rulhe, imposant !
P1110403.JPG

 

Etang Couart sous le pic d'Estandérou et Gros pic de Cazalassis à droite
P1110404.jpg

 

Telle une ile, le massif de Tabe se détache sur la mer de nuages
P1110406.JPG

 

La vallée d'Arques et Tosse de Pédourres sur la gauche

P1110407.JPG

 

Vue vers l'Ouest
P1110411.JPG

 

Gros plan sur le Mont Valier

P1110409.jpg

 

Vue vers le Sud

P1110414_annote-correct.jpg

 

Gros plan vers le Sud/Est

P1110417.JPG

 

Seul, j’ai profité pleinement de la sérénité du sommet. Mais il y a un retour à présent, et c’est peut-être cela le plus complexe. Il faut se rendre dans la vallée adjacente à celle du Siscar, celle d’Arques. Il est 10h50 quand je quitte le sommet. J’ai repéré un couloir à l’ombre juste sous le sommet, qui plonge sans un cirque suspendu. La neige ombragée est béton, il faut désescalader. La tension monte, faux pas interdit. L’adrénaline parcourt mon corps. Presque en apnée, je descends sur 50 mètres dos au vide. Le soulagement est de mise quand je peux enfin faire face à la pente, mais la suite reste encore à écrire. En lisant bien le terrain, on évite soigneusement des barres rocheuses, et il y a toujours un bout de pente praticable. Néanmoins, ce versant Sud a déjà pris le soleil, et la neige s’est fortement ramollie. Ce cirque suspendu délimité par les arêtes du pic de l’Albe a un charme incroyable. Un étang sans nom a d’ailleurs trouvé une place à plus de 2400 mètres.

 

Le couloir de descente sous la cime

P1110418.jpg

 

Dans le couloir au vu de la verticalité, j'aurai préféré le monter que le descendre
P1110420.JPG

 

Couloir de descente et cheminement suivi

P1110421.JPG

 

Etang sans nom par IGN, nommé localement Diable de Pédourres

P1110423.jpg

 

Depuis l’étang sans nom (connu par les pêcheurs sous le nom de Diable de Pédourres), afin de rattraper le vallon de la Vaillette, il faut se rendre à l’Ouest du plan d’eau pour gagner une pente de neige, unique passage possible. Une fois dans le vallon, il n’y a plus qu’à suivre l’axe du vallon, vers l’aval. La neige porte de plus en plus mal, mais elle devient également moins abondante. Je me pose sous le déversoir de l’étang de Pédourres à 12h21. Voilà une bonne demi-journée de 6h20 d’actions. Il faut vite se restaurer avant que le brouillard gagne ces hauteurs. Pour l’heure, le soleil brule dans ce havre de solitude.

 

La mer de nuages s'engouffre dans chaque vallon

P1110427.JPG

 

Gros plan sur le Pic d'Auriol
P1110428.JPG

 

Tosse de Pédourres et étang éponyme à son pied
P1110435.JPG

 

Au loin la porteille de Sisca et le pic de Régalecio
P1110436.JPG

 

Je reprends la marche dés 13 heures, et le pas plus léger sans les crampons. Le chemin apparait assez distinctement malgré la présence de neige encore abondante mais non gênante. Comme pressenti, je finis par entrer dans le brouillard qui stagne à présent dans le vallon. La neige disparait sous la retenue d’eau de la jasse Planel du Roux. Il n’y a plus qu’à suivre le GR jusqu’au pont de pierre, puis gagner le point de départ par le sentier humide sous la conduite d’eau forcée. Fin à 14h33. Je suis surpris par un retour si rapide, peut-être dû au brouillard. Techniquement, ce n’est certes pas le couloir de l’année, mais il a le mérite d’offrir en hiver, un accès au pic de l’Albe, tout en stimulant la recherche d’itinéraire durant la longue approche. En cela il m’a comblé. Mais surtout, il offre le plaisir de faire sa trace, chose plus rare pour les couloirs proches des parkings. C’est donc un couloir d’initiation, mais pour novice n’ayant pas peur d’une approche énergivore.

 

La brume rentre à l 'heure du repas

P1110437.JPG

 

La vallée d'Arques
P1110438.JPG

 

De dos, pic de Nérassol face Est
P1110439.JPG

 

Ambiance fantomatique
P1110440.JPG

 

Les jonquilles sont déjà en fleurs
P1110441.JPG

 

Le joli pont de pierre sur le Siscar
P1110442.JPG

 

Trace du jour sur carte IGN 1/25000

Carte_IGN_Albe.jpg

 

Les chiffres de la journée :

Temps de marche total 7h54 pour 17,8 km

Temps pour faire le couloir : 0h53

Longueur du couloir : 250 m

Dénivelé positif total : 1385 m – Autant en négatif

Point culminant : 2764m

 

Pic de l'Albe par le couloir PIM-PAM-POUM (AD inf)



15/03/2020
37 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 308 autres membres